Prenez une somptueuse coquille vide, par exemple le palais Granvelle de Besançon, chef-d’œuvre de la plus austère architecture du XVIe siècle, farcissez-le avec les collections d’un de ces bons vieux musées historiques municipaux, à base de vues cavalières, gravures du siège, maquettes anciennes et portraits noircis, récupérez les salles les plus poussiéreuses du Musée des Beaux-Arts de la ville, celles où s’alignent les vestiges de l’industrie horlogère, autour d’un chef-d’œuvre absolu, la « montre la plus compliquée du monde » (la Leroy n° 1 de 1904), ces salles que nul ne visite plus sauf quelques retraités nostalgiques d’une industrie en déclin. Ajoutez un zeste de philosophie-pour-tous, grâce aux excellentes publications de Jacques Attali consacrées au temps, son histoire et son avenir – aimablement, il vous épargne d’avoir à lire ses devanciers. Prévoyez un budget de communication. Reste à inaugurer à grands coups de cymbales un musée nouveau, conceptuel, interactif et archi-pédagogique, pionnier des musées d’idées du XXIe siècle, le Musée du Temps, où défileront bientôt des norias d’enfants des écoles torturés avec une bonne conscience absolue par des maîtres exemplaires, soucieux de raviver un peu les « activités d’éveil » en faisant vivre aux jeunes cette « exploration scientifique, technique et humaine du temps ». Par chance, Besançon ne possédait pas un musée du parapluie, qui eût permis d’élargir la thématique. Envoyons donc, comme lecture de rentrée, au maire de la petite bourgade de Gignese, sur les rives du lac Majeur, la traduction italienne de L’Histoire du Climat depuis l’an mil d’Emmanuel Le Roy Ladurie (Flammarion, 1967, livre pour le coup novateur et passionnant, disponible en poche en collection « Champs ») et observons comment son sympathique petit « Musée du parasol et du parapluie », riche de nombreux prototypes dont certains remontent au XVIIe siècle, saura devenir le grand « Musée du temps qu’il fait » dont l’Europe a besoin à l’aube du troisième millénaire.
A Strasbourg, on croyait fossilisé le brave palais Rohan depuis l’ouverture du Musée d’Art moderne et contemporain, acropole de la modernité. Grâce à Fabrice Hergott, directeur des Musées de Strasbourg, et au nouveau conservateur des collections d’art ancien, Dominique Jacquot, le Musée
des Beaux-Arts, à l’étage noble du vieux Palais, semble revivre.
A l’occasion de l’accrochage de l’exposition Chassériau (visible jusqu’au 21 septembre), moins dense mais plus lisible qu’au Grand Palais, Dominique Jacquot avait proposé un choix des collections permanentes pour suggérer, avec beaucoup d’intelligence, ce que pouvait être, sur fond rouge et les cadres presque à touche-touche, le goût pictural des contemporains de l’artiste. L’idée de Dominique Jacquot est simple : « Les Musées de France n’ont plus à être de petits Louvre qui auraient mission de raconter l’histoire de l’art de toutes les époques et de tous les pays. C’était leur mission sous le Premier Empire : on n’hésitait pas à remplir les vides par des copies de Poussin ou de Rubens, quand ils manquaient à la clarté de l’exposé didactique. Aujourd’hui, c’est un autre type d’histoire de l’art que l’on attend des musées. Le nouvel accrochage thématique de la Tate Modern, qui a séduit immédiatement les Londoniens, montre que le public veut d’abord comprendre, opposer, rapprocher, et être ému. Le musée n’a pas à remplacer les livres. Si nous essayons de remplir les cases d’un manuel avec nos collections, nous n’y arriverons pas et les visiteurs ne peuvent que ressortir déçus. » D’où la nouvelle présentation des salles du palais Rohan, prévue début octobre. Des groupements de peintures d’époques diverses autour de la manière de montrer la lumière par exemple ; une galerie somptueuse, accrochée comme un cabinet d’amateur, consacrée aux natures mortes, point fort des collections de Strasbourg. L’histoire ne disparaît pas. Quelques groupements chronologiques ponctuent la visite : la Rome du XVIIe siècle, le maniérisme européen ou une réflexion sur l’art de l’éloquence à l’époque baroque. Des exemples qui permettent aussi de comprendre comment on écrit l’histoire des styles. Rien n’a changé dans la liste des œuvres, si ce n’est quelques toiles sorties des réserves, mais ce n’est plus du tout le même musée. L’abandon de l’intenable parcours scolaire permet de comprendre infiniment plus de phénomènes historiques et de pénétrer au cœur du métier de l’historien de l’art. Une révolution copernicienne, qui n’a rien coûté, sans battage ni pompeuse déclaration d’intention, simplement pertinente.
- Besançon, Musée du Temps, 96, Grande rue, tél. 03 81 87 81 50, et STRASBOURG, Musée des Beaux-Arts, Palais Rohan, 2, place du Château, tél. 03 88 52 50 00.
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Besançon et Strasbourg : redonner vie aux vieux Palais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Besançon et Strasbourg : redonner vie aux vieux Palais