À Montréal, Paris, Londres, la mode est aux expositions qui mélangent arts plastiques et musique. Avec une harmonie plus ou moins réussie…
Fallait-il chanter les cantates lors de la messe, au risque de donner prise à une émotion diabolique ? Ce débat a longtemps divisé la Réforme protestante. Mozart écrivait bien, disait-il, « des notes qui s’aiment ». Et la pianiste Hélène Grimaud fait remarquer que la musique et l’amour ont en commun de tout pouvoir, sauf de « n’être pas ». Ce langage des émotions peut-il entrer dans les enceintes de méditation que sont les musées ? Beaucoup y songent en tout cas. En attestent les expositions de l’année confrontées à la musique : la Renaissance à Écouen, Venise à Montréal, sans parler d’« Europunk » à la Cité de la musique à Paris ou de « David Bowie » au Victoria and Albert Museum à Londres (l’exposition viendra à Paris en 2015).
Partition
Montréal s’est trouvé à la pointe de ce mouvement. Pour Venise, des airs différents sont audibles, au choix, par écouteurs ou dans les salles. Rédigés par un musicologue enthousiaste, François Filiatrault, des cartels exposent
l’évolution de la technique musicale, commentant les arias que faisait entendre Adrian Willaert à Saint-Marc. De surcroît, la directrice, Nathalie Bondil, a mis en œuvre depuis quelque temps un parcours musical des galeries permanentes. Ainsi, devant un tableau de Rembrandt ou de Jan Lievens, peuvent s’entendre (au casque) les accords composés par Constantin Huygens, protecteur de ces jeunes peintres, mais aussi interprète et compositeur. L’expérience vaut d’être vécue. La musique a ce don d’arrêter le temps, incitant le visiteur à entrer dans le tableau comme dans un livre. Nathalie Bondil entend ainsi faire appel aux sensations pour attirer le public vers les collections permanentes : « Comme la lumière, elle peut magnifier l’œuvre. » À la différence de la peinture, « la musique se vit physiquement », fait observer Emma Lavigne, conservatrice du Centre Pompidou où elle s’est occupée, avec Christine Macel, de l’exposition sur la danse et de la rétrospective Pierre Huyghe, Brian Eno à l’appui.
Mais cette approche ne fait pas l’unanimité : Wagner fut le curieux absent du Louvre dans l’exposition « De l’Allemagne ». Pas une note audible dans les salles pour Vermeer à la National Gallery, ou pour Klee et la musique à la Villette, voire Debussy à l’Orangerie, un comble ! Autant montrer Vuillard sans peinture, ou encore la pénible cacophonie de « Jazz » au Quai Branly. La technique, en effet, doit être mise au service du propos. La musique peut envahir l’espace. Elle peut être confinée dans des bulles acoustiques, comme pour Miles Davis au Musée de la musique. On peut user de « douches sonores », même si, parfois, une certaine confusion est voulue, comme à l’entrée de l’exposition « Europunk », où elle renvoie à l’entropie du mouvement. Le commissaire, Éric de Chassey, reste sur la réserve. Lui conserve son regard porté « sur les œuvres, avant tout », ne souhaitant pas d’autres « distractions » dans un monde déjà distrait.
Architecture
Dans tous les cas, la musique ne s’ajoute pas comme une cerise sur un gâteau… Il est possible de puiser dans une vaste panoplie d’outils, « qui doivent s’adapter au désir du commissaire », souligne Thierry Planelle, ancien de Virgin Music, qui a travaillé avec Emma Lavigne à la sonorisation des expositions de Montréal (« Imagine, la ballade pour la paix de John Lennon et Yoko Ono » en 2009 et « Warhol Live » en 2008). L’introduction de la musique implique une « réflexion en amont », souligne Gérard Chiron, le « Monsieur son » du Centre Pompidou. « Pour adapter les dispositifs, il importe de prendre en considération la nature de l’œuvre… C’est tout l’accrochage qui doit être repensé : nous ne sommes plus devant une cimaise blanche, mais dans un environnement multidimensionnel qu’il faut traiter dans sa globalité. C’est un travail architectural. »
Cette « architecture » trouve ses fondements dans les studios de radio développés comme outils de la propagande fasciste. Après la guerre, à Rome ou à Cologne, des compositeurs comme Berio ou Stockhausen ont repris cet « arsenal inouï », selon les mots d’Emma Lavigne, pour exploiter à leur tour la dramaturgie de la voix et la spatialisation du son. « Aujourd’hui, les logiciels simplifient notre travail », relance Thierry Planelle, pour lequel il n’est plus possible aux conservateurs de récuser la « qualité sonore accompagnant la lecture d’une exposition ». Il a lui-même réalisé des montages sophistiqués, intégrant des archives, mixant la musique et les voix, enveloppant le visiteur de la musique du Velvet ou faisant chuchoter à son oreille les voix à la Factory, avec un disque que Warhol faisait tourner en fond. « Il faut engager des niveaux différents, faire éclater les sons, varier les systèmes de spatialisation... surtout ne pas poser une stéréo basique… » Pour Nathalie Bondil, c’est un moyen de desserrer la « tyrannie du discours, qui a kidnappé les œuvres », pour refaire des musées des « lieux de vie ».
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Au musée, les murs ont des oreilles
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 19 janvier. Cité de la musique, parc de la Villette (Paris-19e). Ouvert du mardi au jeudi de 12 h à 18 h, le vendredi et samedi jusqu’à 22 h et le dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 9 et 7,20 €.
Commissaires : Éric de Chassey et David Sanson. www.citedelamusique.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°664 du 1 janvier 2014, avec le titre suivant : Au musée, les murs ont des oreilles