Siège d’un festival international des jardins, qui fête cette année sa vingtième édition, le Domaine de Chaumont-sur-Loire offre également un parcours d’art contemporain.
Sous un ciel de printemps constellé de particules radioactives, le Domaine de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher) inaugure la vingtième édition du Festival international des jardins sur le thème de la biodiversité (lire l’encadré). Outre ce temps fort de la création paysagère et la visite du château de Diane de Poitiers, le programme d’art contemporain, lancé en 2008 sur le site, donne une troisième bonne raison d’y faire escale. Et le public est au rendez-vous. « Entre 2007 et 2010, le nombre de visiteurs est passé de 200 000 à 350 000, annonce la directrice des lieux, Chantal Colleu-Dumont. Preuve que l’art contemporain n’a pas fait fuir les amateurs de jardin et d’histoire. » Cette dernière est seule maîtresse à bord de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) créé en 2008, après l’acquisition du domaine national par la Région Centre. L’ampleur de la tâche se traduit malheureusement par une programmation qui manque de cohérence et se contente d’une ligne directrice, dictée par le label « Centre d’art et de nature ». Guidés par aucune problématique, les invités de marque de Chantal Colleu-Dumont – cette année, Sarkis, Tadashi Kawamata ou Ernesto Neto – ont chacun bénéficié d’une carte blanche, ou plus exactement, une « carte verte ».
Lâché dans la nature, rien d’étonnant à ce que Kawamata y construise des cabanes en haut des arbres. Heureusement, les troncs lisses qui les rendent inaccessibles nuancent cette proposition à redevenir un homme des bois. Plus loin, l’artiste japonais guide l’homme pressé dans sa réappropriation de la nature par des aménagements en bois de charpente, qui dissimulent volontairement leur statut d’œuvre au profit d’une valeur d’usage : tandis qu’un plancher circulaire entre des arbres centenaires attend d’être investi par un débat écologiste, un promontoire orienté vers la vallée de la Loire suscite un retour au sentiment romantique. Hélas, le Chemin de Diane, de Dominique Bailly, en est la redite dans le style rococo qui fait école dans la sculpture de rond-point.
Expérience olfactive
Parmi les propositions réparties dans les multiples dépendances du château, un détour par les écuries permettra de faire l’expérience olfactive du Tapis de lavande de herman de vries dans l’ancien manège. L’installation minimale prend à revers l’invitation à inscrire une œuvre dans le paysage, en suscitant l’émerveillement par simple déplacement d’un matériau naturel. Dans le château, la réflexion sur le thème « Nature et culture » prend un peu de hauteur avec l’intervention de Sarkis commandée par la Région. L’artiste a fui le voisinage des lourdes tapisseries de Diane de Poitiers, ou des papiers peints fleuris de la comtesse de Broglie, en élisant domicile dans les combles du château. Ces pièces où sont entreposés armures et bibelots poussiéreux abritent les fantômes des oubliés dans les coulisses de l’histoire. Cuisines et chambres de bonnes ignorées du public figurent l’inconscient du faste. Sarkis y orchestre une déambulation dans les strates de la mémoire collective, compilée sans hiérarchie dans une succession de 72 vitraux élaborés à partir de photographies sans légende.
De retour dans les salles d’apparat, l’invitation faite à Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger pèche encore par sa littéralité. Leur potage évolutif, servi sur la table de la salle à manger, a toutefois le mérite de titiller le thème bien pensant du festival par une œuvre dont l’attrait ludique seconde un propos pour le moins alarmiste. En effet, les cristaux proliférant mis au point par le couple suisse contiennent un engrais utilisé massivement dans l’agriculture maraîchère : cette soupe extraterrestre est au menu de tous nos repas.
Végétation chaotique
Cette fascination doublée d’effroi conduit à la série Noces (1988-1996) de Gilbert Fastenaekens, réalisée dans une forêt des Ardennes où l’artiste s’est lentement enfoncé, armé de sa lourde chambre photographique. Les tirages barytés en noir et blanc capturent l’immanence d’une végétation chaotique ressuscitée sur le champ de bataille. Le rendu graphique de ces antipaysages « gribouillés » est saisissant. Exposés dans la chambre de la princesse surplombant les berges tranquilles de la Loire, ils procurent le sentiment déroutant de goûter au sublime par une expérience claustrophobe, tant la perspective y est annihilée, tout comme peut-être l’espoir de se dépêtrer des paradoxes qui gouvernent le rapport de l’homme à la nature.
Enfin, Manfred Menz aborde le versant politique de la question dans sa série Invisible Project. Sur ses clichés numériques de grands monuments, le sujet principal a disparu pour ne laisser visible qu’une verdure discrète pourtant chargée de sens. L’absence de l’architecture révèle une nature mise au service de la mégalomanie urbanistique, quand elle n’est pas l’instrument d’un leurre, comme dans ce paysage idyllique qui s’avère être l’un des endroits les plus dangereux de la planète, à la frontière entre les deux Corée.
« Jardins d’avenir ou l’art de la biodiversité heureuse. » Alors que le désastre écologique ne pourra s’éviter qu’en se pliant à des privations, il fallait bien l’adjectif « heureuse » dans le sous-titre du 20e Festival international des jardins pour amadouer les promeneurs. Si certaines guest stars sont tombées dans l’écueil d’un hommage mielleux à dame Nature, tel Dominique Perrault et sa « robe » d’or pour tronc d’arbre, ce n’est pas le cas des concourants. Parmi les jardins en lice, certains se démarquent par leur radicalité, comme le jardin postcatastrophe nucléaire de Meryl Fanien (paysagiste), Philippe Guillemet (sculpteur) et Cyrille Parlat (paysagiste), ou l’aride mémorial des plantes disparues de Denis Valette (architecte) et Olivier Barthélémy (sculpteur).
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Arts florissants
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 16 octobre, parcours d’art contemporain jusqu’au 3 novembre, Domaine de Chaumont-sur-Loire, 41150 Chaumont-sur-Loire, tél. 02 50 20 99 22, www.domaine-chaumont.fr, tlj 10h-20h (fermeture du château à 18h)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°346 du 29 avril 2011, avec le titre suivant : Arts florissants