L’ACTUALITÉ VUE PAR

André Gélis, maire de Sérignan (Hérault)

« La culture est une façon de récréer du lien social »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2006 - 1327 mots

Le 23 septembre est inauguré, par une exposition de Daniel Buren et de Lawrence Weiner ainsi qu’une commande passée à Erró, le Musée de Sérignan, dans une commune de 7 000 habitants de l’Hérault. Une collection permanente d’art contemporain se déploiera dans un bâtiment rénové, d’une surface de 2 500 m2. Maire de Sérignan depuis 1989 et vice-président de l’agglomération de Béziers chargé de la culture, André Gélis revient sur ce projet et commente l’actualité.

Comment est né le Musée de Sérignan ?
Il est né d’une suite logique d’ouvertures sur l’art contemporain qui a débuté en 1989 quand j’ai été élu maire de la commune. Sérignan était une commune rurale, essentiellement viticole, totalement dépourvue d’équipements culturels. Nous avons ouvert une médiathèque, une école de musique et des ateliers d’artistes. Dès 1991, nous avons inauguré une première salle d’exposition sur 200 m2. Pédagogiquement, nous ne pouvions pas débuter par des expositions trop surprenantes pour le public, lequel aurait pu développer un phénomène de rejet. Nous avons commencé par André Lhote, puis poursuivi avec l’école sétoise (de François Desnoyer jusqu’à Combas et di Rosa) et l’école de Paris (Vieira da Silva, Bazaine, Hartung…). Nous organisions quatre à cinq expositions par an. Nous avons agrandi l’espace en y ajoutant 400 m2 en 1997. Sans que nous le demandions, les artistes qui y exposaient ont commencé à nous laisser une œuvre. Nous avons bénéficié de leur sympathie et de leur reconnaissance, et beaucoup d’entre eux ont fait un geste en offrant des pièces majeures quand nous leur avons dit que nous voulions ouvrir un musée avec une collection permanente. De toute façon, il aurait été incompréhensible pour les habitants de la commune que nous achetions de l’art contemporain au prix du marché. Nous disposons tout de même d’un budget d’acquisition qui tourne depuis cinq ou six ans autour de 20 000 euros par an. Cette année, nous avons fait un effort pour atteindre 40 000 euros.
Ce projet est aussi né de ma conviction que la culture est une façon aujourd’hui de « resocialiser », tant il me paraît indispensable de recréer du lien social. Il existe en effet un paradoxe dans notre société, où la communication est très forte, et où, en même temps, les gens ne communiquent plus entre eux et se font parfois une opinion erronée de la réalité. Leur permettre d’accéder à la culture était pour moi le moyen de leur offrir une plus grande ouverture d’esprit. Nous avons aussi, dans ce but, créé une salle de spectacle dont les abords ont été aménagés par Daniel Buren.

Pourquoi avoir choisi l’art contemporain dans une petite ville qui n’avait pas de tradition artistique ?
Pour deux raisons : nous ne pouvions pas créer un musée d’art moderne ou d’art ancien parce que le coût des collections aurait été prohibitif. Ensuite, j’avais la volonté d’engager le dialogue avec des artistes. En bénéficient en premier lieu les élèves des écoles. Beaucoup d’artistes ont joué le jeu. Le jour du vernissage, les gens ont pu les rencontrer directement et leur parler.

Vous-même, étiez-vous collectionneur auparavant ?
J’étais amateur surtout d’antiquités et de tableaux anciens, que j’achetais dans les salles des ventes, chez les antiquaires ou dans les brocantes. J’étais attiré par les beaux objets, les beaux bronzes, les pâtes de verre, les tableaux fin XIXe. Mais j’étais fermé à l’art contemporain. J’ai eu la chance dans les années 1988-1989 de rencontrer ici, à Port-la-Nouvelle, Piet Moget, un artiste hollandais qui s’est installé dans la région en 1955 et qui était aussi collectionneur. C’était un ami de Geer van Velde, de Lhote, d’Olivier Debré. Notre amitié m’a permis de progresser très vite dans la compréhension de l’art contemporain. Je me suis documenté, je suis allé voir des expositions, j’ai beaucoup lu et j’ai aussi beaucoup appris au contact des artistes.

Avec un coût hors taxes de 3 millions d’euros, votre projet de musée est lourd financièrement pour une commune de 7 000 habitants. N’est-ce pas un pari difficile pour Sérignan ?
Cela peut paraître difficile, mais nous avons bénéficié ces dernières années de recettes fiscales supplémentaires, puisque la commune est passée de 3 900 à 7 000 habitants. Nous avons aussi récupéré de l’argent par le biais de l’exploitation de notre patrimoine, des marchés, de la taxe de séjour… En dix-huit ans, hors inflation, nous n’avons augmenté les impôts que de 6-7 %. Parmi les nouveaux équipements figurent aussi un collège, trois écoles primaires neuves ou entièrement rénovées, huit terrains de tennis – dont est notamment sorti le champion Richard Gasquet… Nous avons reçu le Prix de l’environnement en 1993, le Prix du meilleur formateur en tennis, et en 2003 le prix Lumière grâce à Daniel Buren.

Les collectivités territoriales vous suivent-elles ?
Pour le musée, l’État nous a apporté 600 000 euros pour l’investissement. Nous n’avons pas été aidés par la Région Languedoc-Roussillon, présidée par Georges Frêches. La ville de Sérignan fait beaucoup parler d’elle sur le créneau de la culture, ce qui doit irriter quelque peu le président de l’agglomération de Montpellier ! Celle-ci est l’une des rares capitales régionales à ne pas disposer d’un musée d’art contemporain ! De son côté, le conseil général de l’Hérault ne nous a pas aidés spécifiquement pour le musée, car il nous a déjà apporté beaucoup de subventions pour d’autres projets.

Attendez-vous beaucoup de retombées touristiques du musée ?
Notre commune a investi sur un tourisme vert. Nous disposons d’équipements majoritairement quatre étoiles. Le musée n’a pas été créé pour attirer davantage de touristes, mais pour les autres raisons déjà évoquées, notamment pédagogiques et socioculturelles.

Parmi vos projets, vous en avez notamment un avec Jean Nouvel pour le futur port de Sérignan.
Oui, pour « Sérignan Nature ». Jean Nouvel va réaliser un port sur 35 hectares, avec une extension progressive sur 150 hectares supplémentaires. Nous allons débuter les travaux au printemps 2007 pour la première étape. Nous y installerons des « maisons-nids » et des « maisons-dunes ». L’hôtellerie sera orientée sur les soins du corps. L’ensemble est complété par un projet de golf qui touche le port de Nouvel. Nous en sommes actuellement au dépôt des permis de construire.

Nous approchons de l’élection présidentielle. La culture est pour l’instant absente des programmes. Cela vous étonne-t-il ?
Je suis extrêmement déçu, mais cela ne m’étonne pas. Aux dernières élections municipales en 2001, Le Monde avait fait sa « une » sur l’absence de la culture dans le débat, même dans une ville comme Strasbourg, pourtant dirigée par Catherine Trautmann ! D’après le quotidien, il fallait plutôt regarder du côté des petites communes, comme Sérignan. C’est anormal de constater si peu d’intérêt, d’autant plus que la culture ne se limite pas à l’art contemporain. Il existe dans notre pays un vrai retard sur les médiathèques. Des villes de 40 000 ou 50 000 habitants n’en possèdent toujours pas parce que l’argent de l’État a été distribué seulement dans les métropoles régionales. Sans parler de Paris qui capte trois ou quatre fois plus d’argent que les capitales de région. Le problème ne vient pas seulement de l’insuffisance du budget de la Culture. Comme l’a souligné Claude Mollard [spécialiste en management culturel], il manque aussi en France une initiation aux arts plastiques. C’est peut-être le mal français : nous attachons moins d’importance à la culture alors que c’est aujourd’hui un élément essentiel de la vie.

Quelles expositions vous ont marqué dernièrement ?
J’ai visité « Cézanne » à Aix-en-Provence, une bonne exposition mais classique. Auparavant, j’avais été ébloui par Daniel Buren au Guggenheim Museum à New York ainsi qu’à Beaubourg. J’ai aussi visité dernièrement l’atelier de Fabrice Hyber à Paris. J’ai vraiment été ému par ses tableaux récents. C’est un grand artiste ! Quand on voit la finesse et l’intelligence de ce travail, on se dit qu’il est au niveau des meilleurs que l’on peut voir chez Gagosian [galerie de New York] ou ailleurs.

Musée de Sérignan, 146, avenue de la Plage, 34410 Sérigan, tél. 04 67 32 33 05.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : André Gélis, maire de Sérignan (Hérault)

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