LMD

Une réforme dans la douleur

Lisibilité des enseignements, qualification des professeurs et recherche amènent autant de questions que le nouveau statut des établissements

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 février 2010 - 989 mots

Après la réforme des universités, la mutation des cinquante-deux écoles d’art territoriales et nationales est en marche forcée depuis la signature, en 1999, des accords de Bologne prévoyant une harmonisation des structures d’études supérieures en Europe et l’adoption d’un schéma en trois étapes : licence, master et doctorat (LMD).

Pour que le diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP) soit homologué au grade de master, et jouisse enfin d’une reconnaissance de l’enseignement supérieur, les écoles doivent se plier au cahier des charges de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). L’organisme avait remis, en 2009, une évaluation prescriptive réalisée à partir d’un échantillon de sept établissements. Ce rapport avait alors suscité une levée de boucliers de la part de la Coordination nationale des enseignements des écoles d’art et de certains directeurs d’écoles. Leur inquiétude ? Le primat de l’intelligible sur le sensible, de la théorie sur la pratique, la dissolution des spécificités des écoles d’art dans les grilles universitaires. Surtout, cette réinitialisation se produit au pire moment, entre disette de l’État et baisse drastique des revenus des collectivités territoriales avec la suppression de la taxe professionnelle.

Défiance et inquiétude
L’accouchement du nouveau modèle ne se fera donc pas sans douleur. L’AERES exige une meilleure lisibilité des enseignements, un niveau supérieur de qualification des professeurs en charge des matières théoriques (notamment un plus grand ratio de titulaires de doctorats) et un adossement à la recherche. L’étudiant devra également rédiger un mémoire de fin d’études, substantiel dans l’obtention du diplôme.

Ce dernier impératif suscite beaucoup de défiance. Pour Michel Métayer, directeur de l’école supérieure des beaux-arts de Toulouse, « donner au mémoire la "part essentielle" constitue à terme un grave danger pour l’art lui-même : le concept trouvera sa place dans le texte et la forme en sera dépourvue, elle deviendra une forme vide, technique ». L’artiste Pierre Joseph considère les travaux des étudiants comme « la mémoire de leur trajectoire, et non le mémoire ». Les filières « design » sont néanmoins déjà familières avec ce document, tout comme l’école des beaux-arts de Nantes, qui l’a instauré depuis quatre ans. « La qualité de nos formations ne va pas être minorée ou affectée. Au contraire, nous avons la possibilité de l’améliorer, de former à la fois des artistes et des gens ayant une aptitude au discours. Les artistes sont de toute manière de plus en plus amenés à rendre compte de leur production au moyen de dossiers », indique Emmanuel Tibloux, directeur de l’école supérieure d’art de Saint-Étienne et président de l’Association nationale des directeurs d’écoles d’art.

Le risque est toutefois que le filtre ne laisse plus passer certains tempéraments. « Je suis certain que les trois quarts des bons étudiants n’auraient pas eu leurs diplômes avec les nouvelles conditions », s’inquiète l’artiste Noël Dolla. La mise en place d’un programme de recherche n’est, quant à elle, pas d’une totale nouveauté. L’école nationale des beaux-arts de Lyon a ainsi développé depuis trois ans plusieurs projets, notamment en partenariat avec l’École des hautes études en sciences sociales et l’école normale supérieure de Lyon. Mais la création d’un pôle de recherche nécessitera des moyens supplémentaires. Et tous les établissements n’ont pas les épaules assez larges pour les obtenir. Des passerelles se tisseront forcément avec l’université, ou dans le cas des écoles du Nord-Pas-de-Calais, avec le Fresnoy, studio national des arts contemporains.

Mariages de raison
Pour obtenir leur homologation, les écoles territoriales ne doivent pas seulement clarifier leur projet pédagogique, mais encore se transformer en établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Trois premiers EPCC ont déjà été actés en janvier, à Nantes, Clermont-Ferrand et Saint-Étienne, dans une formule regroupant l’école et la Cité du design pour cette dernière. Les écoles ne disposant pas d’un minimum de 250 étudiants doivent se fédérer en EPCC multisite, notamment en Bretagne et dans le Nord-Pas-de-Calais. Des alliances s’opèrent également entre Valence et Grenoble en Rhône-Alpes, et Avignon et Marseille en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Ces mariages, souvent plus de raison que d’amour, n’apportent aucune économie d’échelle. Ils posent, en revanche, de sérieux problèmes de gouvernance. Comment des villes ou départements n’ayant pas les mêmes projets politiques et culturels réussiront-ils à s’accorder ? Qui dirigera l’EPCC ? Les risques sur le plan pédagogique sont clairs. Pour éviter la redondance, certains sites pourraient progressivement se spécialiser et supprimer l’option « art ». « Notre projet est le cumul pas la fragmentation », tranche Jacques Norigeon, directeur de l’école régionale des beaux-arts de Valence, réputée pour son option « design graphique ». Plus petite que l’école supérieure des beaux-arts de Marseille qui, avec ses 383 étudiants, se suffit à elle-même, l’école d’art d’Avignon risque en revanche de devenir un satellite spécialisé en conservation et restauration. Les enseignants craignent enfin d’être contraints à naviguer tels des VRP entre les différents sites. « On va essayer de faire en sorte qu’il n’y ait pas de mobilité forcée », indique Roland Decaudin, de l’école régionale supérieure d’expression plastique de Tourcoing. « Essayer » signifie bien que rien n’est acquis… La taille critique réclamée par l’AERES semble toutefois modulable. Forte de son volontarisme en matière de recherche, l’école d’art de la communauté d’agglomération d’Annecy entend créer son propre EPCC malgré un effectif de 150 étudiants.

Les projets de l’ensemble des établissements seront évalués en trois phases au cours de cette année. Il faudra une bonne dose d’inventivité pour que la réforme améliore sans rigidifier, préserve des espaces de liberté dans un cadre délimité. Tout dépendra de la fermeté dont fera preuve le ministère de la Culture face à celui de l’Enseignement supérieur. Or, ses capacités de négociation restent à prouver… À la Rue de Valois aussi de faire avancer, auprès du ministère de l’Intérieur, le projet de décret sur la revalorisation du statut des enseignants des écoles territoriales. Il ne faut enfin pas se voiler la face. La réforme ne fera qu’exacerber la concurrence entre les établissements. Et certains risquent de rester sur le banc de touche

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EU Flag - photographe : Giampaolo Squarcina - Licence Creative Common 2.0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : Une réforme dans la douleur

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