Entre avril et mai 2008, la Biennale de photographie de Moscou attire des amateurs venus du monde entier voir une programmation éclectique, montrant la photographie historique russe et la jeune garde actuelle, sans faire l’impasse sur les grandes signatures internationales.
Si en 2006 la Biennale a comptabilisé 480 000 visiteurs, l’édition 2008 a déjà enregistré à mi-parcours, selon les organisateurs, près de 400 000 entrées pour 83 expositions présentées dans une trentaine de lieux. Autre preuve de l’engouement du public pour la Biennale : le soutien très important du mécénat, qui représente aujourd’hui près de la moitié du financement.
Dans un français quasi-parfait, Olga Sviblova, la très dynamique directrice de la Maison de la photographie de Moscou et directrice artistique de la Biennale, esquisse pour artclair.com les contours de la photographie en Russie depuis une dizaine d’années.
La Biennale de photographie de Moscou fête ses douze ans en 2008. Quelle a été son influence sur les jeunes photographes et sur le public russe ?
Il est difficile de mesurer l’influence qu’a eue la Biennale sur le travail des artistes. Mais il est évident que l’art et la photographie sont depuis dix ans devenus à la mode, notamment auprès des jeunes, très nombreux à visiter les expositions. En 1996, quand j’ai créé la Maison de la photographie de Moscou et la Biennale, il n’y avait ni public ni critique pour cette discipline. Nous avons été obligés de tout créer, de tout inventer. Aucune institution moscovite n’avait, par exemple, présenté d’exposition de photographie, à l’exception d’un petit projet sur Henri Cartier-Bresson organisé par le musée Pouchkine en 1976. Or à l’heure actuelle, la photographie, à la différence de l’art contemporain, occupe la moitié du programme des musées de la ville. Quant à la Maison de la photographie, elle a déjà organisé plus de 10 000 expositions depuis son ouverture, à Moscou, en Russie et à l’étranger, en comptant les accrochages programmés dans le cadre de la Biennale.
A-t-il été difficile de programmer de la photographie à Moscou dans les années 1990 ?
À dire vrai, je ne sais pas encore comment j’y suis arrivée. Parfois, je me dis que les politiques ont cru à mon projet par hasard et peut-être aussi grâce à mon charme (!)
Comment et pourquoi vous est venu cet intérêt pour la photographie ?
À l’époque, il n’existait à Moscou ni marché ni institution pour l’art contemporain qui, par ailleurs, me fatiguait. J’avais besoin de nouveauté. En 1995, à Paris où je travaillais sur Dina Vierny, j’ai rencontré une délégation venue de Moscou signer des accords culturels. Je leur ai servi d’interprète, ce qui m’a permis de rencontrer Jean-Luc Monterosso [créateur du Mois de la photographie et de la Maison européenne de la photographie à Paris, ndlr]. Un jour où nous n’avions pas de place dans le bus officiel, nous avons donc marché ensemble. Sur le trajet, Jean-Luc m’a raconté son parcours, ses projets… Là, je me suis demandé pourquoi je n’organiserais pas, moi aussi, un festival de photographie à Moscou ?
À ce moment-là, les artistes qui me touchaient le plus s’intéressaient aussi à la photo : Boltanski, Cindy Sherman, Nan Goldin, Orlan, Martin Parr, etc. Puis, j’ai compris que nous étions à un moment charnière : la société russe se cherchait un futur, sans vraiment connaître son passé, ni l’histoire de sa propre photographie. En Russie, les manuels d’histoire ne reproduisaient que deux clichés : Lénine et Staline assis dans un même canapé et l’attaque du Palais d’Hiver par Eisenstein.
La population, comme moi, désirait connaître la vie de ses grands-parents, voir les visages de ses aïeux. La photographie, à la fois art et document, permettait cela. Il y avait une attente que je suis venue, avec la création de la Maison de la photographie, combler.
Dans la photographie russe actuelle, comme chez Michoukov et Natalia Pavlovskaïa, mais aussi chez les visiteurs, ne détecte-t-on pas un brin de nostalgie pour la Russie d’hier ?
Quinze ans de capitalisme sauvage ont créé de la nostalgie. On peut le mesurer dans l’exposition « Primevère » qui retrace l’histoire de la photographie couleur en Russie, à travers notre collection. Les clichés des années 1970 n’avaient jamais été exposés. Les Russes, plus nostalgiques de la période Brejnev que de la période Khrouchtchev, viennent donc au Manège voir un peu de leur passé.
Moi, j’ai aimé l’époque Khrouchtchev, son sentiment de liberté et le sourire de la population, différent de la période précédente. Mais aujourd’hui, tout le monde rêve de « stagnation ». Et c’est pour cela que la Russie a choisi Poutine.
La photo comble-t-elle un manque ?
L’âme russe se nourrit d’autre chose que simplement d’argent. Même les nouveaux riches ont besoin d’art, de théâtre, de photographie... Ils possèdent des yachts et des avions privés, mais ils collectionnent aussi. Et même si peut-être 15 % d’entre eux ont une réelle passion pour l’art, autre que celle de la spéculation et de convertir des roubles, c’est déjà très bien !
La Maison de la photographie doit inaugurer son nouveau bâtiment au début de l’année 2009. Continuerez-vous d’éclater la programmation de la Biennale dans toute la ville ?
Oui, et je pense que nous irons encore plus loin que le centre de Moscou. Je désire aller dans des espaces d’exposition plus éloignés, à la rencontre du public qui ne peut pas accéder au centre de la ville, en raison notamment du trafic automobile trop dense.
Je fais cette Biennale pour le public. Et le jour où il ne sera plus au rendez-vous, j’arrêterai immédiatement. C’est pourquoi je dois continuellement capter l’air du temps et comprendre ce qui, lors de l’édition suivante, touchera le public… La recette est de programmer les expositions au bon moment. Je n’ai par exemple pas montré Araki trop tôt et, quand je l’ai fait, cela n’a choqué personne. Pierre et Gilles non plus. Les politiciens, pourtant réticents devant l’homosexualité, n’ont pas vu chez eux un art homosexuel, mais tout simplement de l’art. Parce que je les ai présentés au bon moment...
La maison est aujourd’hui ouverte jusqu’à 21 h. En 2009, avec notre nouveau musée que nous appellerons Complexe multimédia des arts actuels, nous ouvrirons jusqu’à minuit. Toujours pour faciliter l’accès au public.
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