Directrice et fondatrice de la Maison de la photographie de Moscou, Olga Sviblova est aussi directrice artistique de la Biennale de la photographie de Moscou, qui réunit jusqu’au 19 juin cent dix expositions dans la capitale russe. Olga Sviblova commente l’actualité.
La Biennale de la photographie de Moscou, dont la 5e édition se déroule jusqu’au 19 juin, a été créée en 1996. Quelle place occupe-t-elle aujourd’hui dans le paysage culturel russe ?
Nous faisons partie des trois festivals les plus importants, avec le festival de cinéma de Moscou et celui de théâtre, le Masque d’or. La Biennale de photographie 2002 a attiré 523 000 visiteurs, et c’est un signe de l’intérêt des Moscovites pour cet événement.
Pour cette édition, vous avez collaboré avec des institutions françaises – le Fonds national d’art contemporain, le Musée national d’art moderne, la MEP, l’AFAA – ou des galeries comme Jérôme de Noirmont ou la Galerie de France. La France est-elle pour vous un modèle dans le domaine de la photographie ?
Oui. Depuis que nous avons lancé la première Biennale à Moscou, nous avons pris pour modèle le Mois de la photo à Paris. Ma rencontre avec Jean-Luc Monterosso, en 1995, m’a beaucoup influencée. Mais quand celui-ci monte pour le Mois de la photo deux ou trois expositions, puis choisit les autres événements, nous, nous sommes obligés de tout produire nous-mêmes. Surtout dans les premières années, car aujourd’hui, des galeries et d’autres musées produisent parallèlement des expositions pour l’occasion. De plus, Agnès de Gouvion Saint-Cyr est mon éducatrice dans la photographie. Chaque année, elle est fidèle à notre biennale. Alain Sayag m’a aussi appris beaucoup dans les domaines de la photographie moderne internationale et de la photographie asiatique contemporaine. De même, c’est à Paris que j’ai vu pour la première fois, à l’Espace Electra et grâce à Michket Krifa, les artistes iraniens présentés dans l’édition actuelle de la Biennale de Moscou. Les festivals d’Arles et de Perpignan ont également été très instructifs. Parmi tous les pays européens avec lesquels nous travaillons beaucoup, la France a été et reste le plus grand centre photographique au monde.
Nous avons essayé de créer des échanges. J’ai tenté d’amener à Moscou ce que j’ai découvert en France et je suis ravie que les Français soient très attentifs aux artistes russes. Depuis 1996, nous avons organisé plusieurs expositions de photographes russes historiques et contemporains à la Galerie Carré Noir à Paris. Nous participons depuis 1998 au Mois de la photo à Paris où nous avons organisé l’exposition « La photographie soviétique mémoire de son temps », au Pavillon des arts ou « Max Penson » à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris en 2002. L’objectif de notre musée à Moscou est d’implanter la photographie russe au sein du contexte international, aussi bien du côté historique que contemporain. Aujourd’hui, la plupart des artistes contemporains travaillent avec la photo et le musée essaye de produire des projets pour aider ces artistes, lesquels manquent totalement de moyens.
Aujourd’hui, quels sont les photographes russes les plus importants ?
La Maison de la photographie de Moscou s’intéresse à la photographie de rue et d’art, à la photographie historique et contemporaine. Nous souhaitons regarder dans toutes les directions, et prenons aussi en compte les nouvelles technologies. Dans chacun de ces domaines, nous faisons des découvertes. Pour nous, l’histoire de la photographie russe est très importante, un domaine qui a été délaissé depuis la fin des années 1930. Nous travaillons beaucoup sur le début du XXe siècle. Notre collection aujourd’hui compte plus de 70 000 œuvres avec les négatifs. Nous avons fait beaucoup de découvertes comme Alexander Grinberg, Yuri Eremin, Alexandre Khlebnikov, Max Penson et tant d’autres. On se concentre sur les supports de production des nouveaux projets des artistes contemporains qui travaillent avec la photographie (Olga Tchernisheva, Groupe AEF F, Oleg Koulig, Vladimir Kupriyanov, Vladislav Mamychev (Monro), et les autres). Par ailleurs, nous commandons à des photojournalistes (ainsi Igor Mukhin, Galina Moskaleva, Vladimir Semin, Sergeï Tchilikov…) des reportages sur des thèmes particuliers dans les régions de la Russie, à Moscou. Nous voulons enfin faire découvrir de jeunes photographes. Nous décernons annuellement un prix à Moscou d’une valeur de 50 000 euros, pour lequel nous avons reçu 6 000 œuvres de 500 artistes.
Vous avez dû redéployer la Biennale après l’incendie du Manège, ceci un mois avant l’ouverture de la manifestation. Cet incendie est-il emblématique de l’état du patrimoine à Moscou ?
Pour le moment et tant que l’expertise n’a pas été rendue, personne ne sait la vérité. Je connais très bien le lieu et, même s’il n’avait pas de système anti-incendie sophistiqué, il était difficile de le faire brûler aussi vite et de façon aussi totale. Cet incendie a probablement été volontaire. Mais je ne prends pas la responsabilité de juger avant les conclusions de l’expertise. Sur la question de la conservation du patrimoine, l’état de ce dernier est loin d’être optimal, mais il ne faut pas oublier que la plupart des archives des musées ont été constituées au XIXe siècle et ne sont pas apparues pendant la Russie soviétique. Les problèmes sont donc évidents. Dans les nouveaux musées, l’État a essayé d’installer des équipements techniques correspondant aux standards internationaux. À la Maison de la photographie de Moscou, fondée il y a huit ans, nous attendons un nouveau bâtiment qui sera parfaitement équipé. Cette idée qu’il faut investir de l’argent pour la conservation du patrimoine est récente en Russie. Il est très difficile de se battre. Même pour acheter de la photographie, au début il fallait lutter pour obtenir quelques dizaines de dollars. Maintenant, tout le monde a conscience que la photographie est un art et qu’elle a un coût. Mais, par exemple, il est difficile d’expliquer que nous avons besoin de carton non oxydé. Nous disposons aussi d’un atelier de restauration et nous organisons cette année une première conférence sur le sujet dans le cadre de la Biennale. Presque tous les musées qui possèdent des fonds de photographies, à Saint-Pétersbourg, à Moscou et dans les provinces russes, vont y participer. Les gens commencent à comprendre la valeur des archives, même si, dans les années 1980, des vintages ont encore été brûlés.
Y a-t-il des collectionneurs privés de photographies en Russie ?
Il y en a, mais c’est un phénomène très marginal. Quelques-uns ont commencé à acheter récemment. Ce sont plutôt des collectionneurs à la manière occidentale. Mais la plupart des collectionneurs d’avant évoluaient dans un marché sans argent, qui fonctionnait sur un principe d’échanges, et par hasard…
Une nouvelle foire d’antiquités, la « Moscow World Fine Art Fair », va avoir lieu à Moscou du 31 mai au 7 juin. Comment analysez-vous le marché de l’art à Moscou ?
Dans l’art en général, un grand marché d’antiquaires s’est développé depuis le début des années 1990. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les nouveaux Russes ont commencé à acheter de l’art contemporain, parce que c’était une possibilité de changer de l’argent, de convertir les roubles en dollars. Et c’était la mode, surtout, de constituer des collections d’entreprise. Mais cela s’est arrêté au milieu des années 1990 avec la crise du marché de l’art contemporain. Ensuite, le marché des antiquaires s’est développé très vite. Aujourd’hui, nous avons à Moscou au moins trois foires d’antiquaires. Ce phénomène existe aussi à Saint-Pétersbourg et dans les villes de province. Les nouveaux Russes adorent les antiquités. Les prix sont beaucoup plus élevés que sur le marché international, car il n’y a pas beaucoup d’antiquités nationales en Russie. Depuis les années soviétiques, la plupart des pièces ont été détruites. Il reste très peu de choses, ce qui explique les prix forts. Au cours des dernières années, des antiquités étrangères ont commencé à arriver en Russie.
Dans les tableaux, le Réalisme socialiste est très à la mode. Dans le même temps, le marché de l’art contemporain commence à se développer. Nous avons une nouvelle génération de collectionneurs, des jeunes qui ont de l’argent, qui sont bien éduqués, qui ont beaucoup voyagé. Les Russes apprennent très vite. Les gens ont compris que l’on ne pouvait pas seulement afficher des diamants ou des voitures, mais aussi se présenter à travers l’art. Aujourd’hui, les Russes ne voyagent plus seulement vers les casinos mais aussi vers Marfa (Texas), par exemple, pour voir la maison de Donald Judd. C’est bon signe. Ces collectionneurs ont débuté avec l’art étranger et commencent aujourd’hui à s’intéresser à l’art contemporain russe. Trois ou quatre galeries qui ont connu des périodes creuses s’en sortent mieux. Et l’on peut dire la même chose de la photographie, qui représente 70 % de ce que montrent les galeries.
Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
Mes plus grandes impressions, même si elles ne sont pas récentes, sont « Comme un oiseau » à la Fondation Cartier, les « Années pop » au Centre Pompidou, et « Alors, la Chine ? », toujours à Beaubourg. Ces expositions, ce ne sont pas seulement de belles œuvres, c’est aussi une scénographie, une ambiance. Un accrochage d’exposition, c’est comme un montage de film : on peut faire un très mauvais film avec de très bons rushes et inversement. Cette année, nous avons perdu la scénographie prévue pour le Manège et c’est très dommageable pour la Biennale de la photographie de Moscou. Nous avons perdu cette ambiance, mais nous avons sauvé le programme.
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Olga Sviblova, directrice de la Biennale de la photographie de Moscou
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Olga Sviblova, directrice de la Biennale de la photographie de Moscou