Asnières-sur-Seine [02.08.13] - Inscrite Monument Historique depuis 1985 et laissée à l’abandon par son propriétaire, Réseau Ferré de France, la gare conçue par Juste Lisch pour desservir l’Exposition Universelle de 1878 au Champ-de-Mars suscite plusieurs projets de réhabilitation. Mais aucun n’a jusqu’ici abouti.
« Un tas de cailloux et un tas de ferraille », déclare Matthieu Cottenceau, Architecte des Bâtiments de France, évoquant la gare Lisch, dissimulée au fond de l’impasse des Carbonnets à Asnières-sur-Seine, à la limite de Bois-Colombes en région parisienne.
Grignotée par la rouille et la végétation depuis des décennies, ce bâtiment de fer, de briques vernissées et de carreaux de céramique aux couleurs vives, qui n’a jamais été entretenu par son propriétaire Réseau Ferré de France (RFF, anciennement SNCF) fait peine à voir.
Ses verrières sont brisées, ses murs tagués et un des deux bâtiments jouxtant la nef centrale a disparu dans les flammes d’un incendie au début des années 1990.
Entourée de grillages et condamnée au public, la gare d’Asnières a pourtant connu des jours meilleurs : bâtie sous l’égide de la compagnie des chemins de fer de l’ouest par Juste Lisch (1828-1910), architecte de gares à qui on doit entre autres la reconstruction de la gare Saint Lazare (1885-1889), elle est d’abord édifiée à Paris pour assurer la desserte de l’Exposition Universelle du Champ-de-Mars en 1878. Placé à l’angle de l’Avenue de Suffren et du Quai d’Orsay, le bâtiment est démonté vers 1897, comme en témoigne le Panorama des rives de la Seine IV filmé par les frères Lumières qui capture la tour Eiffel et la gare dans la même perspective.
Contrairement à la gare qui l’a précédée, bâtie pour l’exposition universelle de 1867 et démolie après usage, elle ne fut pas détruite, mais transférée à Asnières où elle abrite les ateliers de la compagnie des chemins de fer de l’ouest, dévastés par un cyclone, avant d’assurer à partir de 1924 le terminus des trains omnibus Paris-Bois-Colombes.
En 1936, l’édifice, devenu obsolète depuis la construction de la nouvelle gare de Bois-Colombes, distante d’une centaine de mètres, perd définitivement sa vocation de gare pour multiplier les usages (entrepôt, logement…) jusqu’à désaffectation.
RFF/SNCF lorgne alors sur le terrain pour bâtir des logements. Le permis de démolir de ce bâtiment désaffecté est accordé par arrêté préfectoral en avril 1983.
Pierre Tullin, Asniérois passionné d’architecture ferroviaire qui étudie l’histoire de la gare depuis quelques années, effectue une demande de protection auprès de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC). Après avoir été approuvée par la COREPHAE (commission régionale du patrimoine Historique Archéologique et Ethnologique) celle-ci est acceptée par arrêté préfectoral en 1985. La gare est désormais protégée mais elle est laissée à l’abandon, son entretien revenant à son propriétaire.
Echec des projets de réhabilitation
De nombreux projets de réhabilitation – condition sine qua non de la restauration du site - sont initiés, mais abandonnés, les couts étant trop élevés ou les négociations avec RFF n’ayant pas abouti.
Contrecarré par le Président du conseil régional d’île de France de l’époque, le projet élaboré par la mission interministérielle d’amélioration urbanistique « Banlieues 89 » - premier projet de réhabilitation qui a valu à l’édifice son inscription - se voit privé de subvention et est abandonné.
La plupart de ces projets de requalification prévoient un démontage et un transfert du bâtiment sur un autre espace. Aménager les abords directs du bâtiment est en effet impossible, RFF/SNCF n’entendant pas céder un mètre de terrain entourant la gare.
L’activité ferroviaire devrait en effet se développer au cours des années à venir sur ce site jouxtant une voie de garage liée à la ligne Paris-Saint-Lazare Ermont-Eaubonne qui accueille toujours des espaces de stockage.
Pour la DRAC - qui doit être avertie de tous travaux concernant l’édifice inscrit - « déplacer le bâtiment est tout à fait envisageable ». La restauration de l’édifice prévoit d’ailleurs un démontage pièce par pièce, brique par brique et rivet par rivet (ces derniers devant être remplacés), selon l’ABF Matthieu Cottenceau.
Depuis une dizaine d’année, la Municipalité d’Asnières envisage de remonter la gare au sein de son parc Robinson, en bordure de Seine, pour en faire une structure culturelle.
Un projet aujourd’hui difficilement réalisable selon Philippe Babé, adjoint à la culture et au patrimoine. « Les experts ont chiffré à 5 millions d’euros la restauration de l’édifice ce qui nous amène à 10 millions pour en faire une structure fonctionnelle. » « Il s’agit d’un cout extrêmement élevé pour une structure qui ne sera peut-être pas rentable, le parc étant peu fréquenté » précise-t-il, ajoutant que la DRAC a exprimé ses réticences à subventionner la restauration d’un bâtiment aussi endommagé.
Mobilisation digitale
En 2012, Nicolas Sirot, directeur d’une agence de communication résidant en face de la gare, lance un projet de réhabilitation à partir d’une « mobilisation digitale ». Plus de 5000 soutiens sur Facebook se rassemblent autour de l’idée de restaurer l’édifice in situ pour en faire une « cité du voyage », lieu autofinancé à même d’accueillir espaces de conférence, de projection, de restauration… à destination des voyageurs, qui forment une large communauté sur Internet.
En avril 2013, il crée le fonds de dotation « Gare Lisch – Opération Renaissance » et lance en juillet un site internet . Son but : « gagner un maximum de visibilité » avant de lancer une souscription populaire sur internet. Si le crowdfunding patrimonial a fait ses preuves, les sommes qu’il a jusqu’ici permis de réunir se chiffrent cependant en milliers d’euros et non en millions, destinés à compléter un plan de financement bien réglé.
Nicolas Sirot, qui revendique une visée internationale au projet, espère trouver des mécènes à l’étranger. « Nous comptons apporter un projet clef en main aux différents acteurs », explique-t-il, espérant ainsi secouer l’immobilisme du dossier depuis des décennies. Plus discrètement, l’Association des amis du château et du vieil Asnières travaille sur un propre projet de réhabilitation, qu’elle ne souhaite pas dévoiler. « Trouver un accord avec RFF est notre priorité », déclare Jacques Lerouxel, président de l’association.
« Un groupe de travail sur le sujet a été créé au sein de RFF qui se réunira à la rentrée », explique Nicolas Noblet, responsable du dossier de la gare à RFF que nous avons réussi à joindre avec beaucoup de difficulté.
Si RFF a tout à gagner de voir la gare démontée et transférée afin de dégager le terrain, la gare Lisch ne constitue qu’un dossier parmi tant d’autres pour le deuxième propriétaire foncier de France.
Un dossier que le temps pourrait bien venir refermer. « Dans quelques années, le bâtiment ne pourra plus être sauvé », affirme Matthieu Cottenceau.
En mars 2012, la gare était frappée par un second incendie.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Quel devenir pour la gare Lisch à Asnières-sur-Seine ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Façade principale de la gare du Champ-de-Mars à Asnières en juillet 2013 - © Margot Boutges
Vue de la gare Lisch sur le Champ-de-Mars lors de l'Exposition Universelle de 1889 - © Paris Illustré – N° du 04-05-1889 – Chromotypogravure pages 302-303 – Vue partielle. Collection Pierre TULLIN