PARIS [16.12.14] - Le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, a déclaré le 21 novembre 2014 la conformité du droit de présentation des notaires et des autres officiers ministériels, enjeu majeur du projet de loi Macron dont le texte suscite les réserves du Conseil d’Etat.
La disparition du droit de présentation n’a pas eu lieu avec la présentation en conseil des ministres, le 10 décembre 2014, du projet de loi pour la croissance et l’activité, dit projet de loi « Macron ». Mais à terme la mise à mal de ce droit, dont la constitutionnalité a pourtant été affirmée, est actée. Les professionnels qui souhaiteront à l’avenir s’installer dans des zones où officient déjà des commissaires-priseurs judiciaires, des huissiers ou des notaires, devront supporter le coût lié à la baisse de valeur des offices en indemnisant leurs pairs à la place de l’Etat.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 91 de la loi sur les finances du 28 avril 1816, le Conseil constitutionnel a procédé par étapes afin de déclarer la conformité du droit de présentation, le 21 novembre 2014. Cet article envisage les modalités d’un tel droit, tant pour les notaires que pour les commissaires-priseurs judiciaires et pour les huissiers.
Le droit de présentation consiste en un droit personnel donnant lieu à la conclusion d’une convention entre le cédant ou ses ayants droit et le cessionnaire, par laquelle le titulaire de l’office s’engage à présenter à l’agrément du garde des sceaux son successeur. Ce dernier verse alors une contrepartie financière, dont le principe est reconnu tant par la jurisprudence qu’au regard de l’article 724 du Code général des impôts.
Ainsi, le Conseil a d’abord rappelé qu’en vertu des dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 les notaires ont la qualité d’officiers publics. Le Conseil a ensuite relevé que les notaires « exercent une profession réglementée dans un cadre libéral ». Articulant ces deux aspects de la profession, le Conseil a jugé « qu’il résulte de ce qui précède que, s’ils participent à l’exercice de l’autorité publique et ont ainsi la qualité d’officier public nommé par le garde des Sceaux, les notaires titulaires d’un office exercent une profession libérale et n’occupent donc pas des "dignités, places et emplois publics" au sens de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ». En effet, les notaires, à l’instar des commissaires-priseurs judiciaires, ne font pas partie des effectifs d’une personne publique et ne sont pas employés par l’autorité publique, bien que cette dernière ait procédé à leur nomination. En outre, la notion de « dignité » renvoie à la « qualité de membre d’un ordre civil ou militaire ». Ainsi, après avoir considéré qu’il « n’est contraire à aucun autre droit ou liberté », le Conseil a déclaré conforme à la Constitution « le mot "notaire" figurant dans la première phrase du premier alinéa de l’article 91 de la loi du 28 avril 1816 susvisée ».
Dans un communiqué du 21 novembre 2014, la garde des Sceaux indiquait qu’« afin de garantir à la fois l’égal accès des candidats aux professions, l’égal accès au droit sur l’ensemble du territoire et l’égalité devant les charges publiques, il n’est pas pertinent de remettre en cause le droit de présentation ». Le ministère de la justice marquait ainsi une première réserve au projet de loi Macron. Cette réserve trouva un écho dans l’avis du Conseil d’Etat du 8 décembre 2014, qui bien que favorable au projet de loi n’en a pas moins relevé des « observations et disjonctions » notamment au regard du droit de présentation.
Le Conseil d’Etat relève ainsi qu’ « en prévoyant que « toute personne répondant à des conditions de nationalité, d’aptitude, d’honorabilité, d’expérience et d’assurance est titularisée dans le lieu d’établissement de son choix », le projet du Gouvernement, même en poursuivant un objectif d’intérêt général (…), porterait aux professionnels existants, à défaut de progressivité suffisante ou en l’absence d’un dédommagement adéquat, un préjudice trop grave pour ne pas méconnaître les exigences constitutionnelles ». En effet, à lire l’avis, la valeur patrimoniale des offices existants serait sensiblement réduite. Or celle-ci résulte tant du droit de présentation reconnu à leurs titulaires que des dispositions de l’ordonnance du 26 juin 1816, pour les commissaires-priseurs judiciaires, qui subordonnent la création de nouveaux offices à une étroite concertation professionnelle et instituent un droit à indemnisation des titulaires d’offices existants par les titulaires des nouveaux offices. Bien qu’ayant amendé le projet initial du Gouvernement, notamment en précisant le mécanisme d’indemnisation et en confiant celui-ci au juge de l’expropriation, « il est cependant apparu que, même ainsi amendé, le dispositif présentait de graves inconvénients du point de vue de son effectivité comme des risques financiers qu’il faisait peser sur les professionnels intéressés, voire sur les crédits publics. Affectant la sécurité juridique et financière des personnes concernées, il encourait encore des reproches sur les plans constitutionnel et conventionnel ».
Et la conclusion du Conseil d’Etat est sans appel. Ainsi, « en prévoyant que les professionnels nouvellement installés dédommageraient, leurs confrères en place, le législateur se déchargerait sur eux d’une responsabilité qui lui incombe : la responsabilité du fait des lois. Ce transfert à des tiers de la réparation du préjudice anormal causé par le législateur pourrait être regardé par lui-même comme contraire au principe d’égalité devant les charges publiques, car la réparation d’un préjudice anormal causé aux professionnels en place imposera par définition une dépense anormale au professionnel nouvellement installé ». Quant à la mise en place d’un nouveau mécanisme appelée de ses vœux par le Conseil d’Etat, la proposition est restée lettre morte.
Si le droit de présentation s’avère vidé de sa substance, en raison de l’augmentation souhaitée du nombre de professionnels exerçant la même activité dans une zone géographique donnée, le Gouvernement a, en définitive, remodelé le mécanisme en se déchargeant de sa responsabilité au détriment des nouveaux entrants.
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Abonnez-vous dès 1 €La statue de la Justice par John van Nost le Jeune sur la porte du château de Dublin - © Photo J.-H. Janßen - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0