La décision de démolir les logements sociaux construits en Seine-Saint-Denis dans les années 1980 par Jean Renaudie est suspendue après la mobilisation des architectes.
VILLETANEUSE - Depuis longtemps stigmatisé, le logement social est aujourd’hui rendu responsable de la déliquescence sociale dans les cités. L’« affaire Renaudie », qui suscite l’émoi dans le milieu des urbanistes et des architectes depuis deux mois, est emblématique de cette dérive. Elle met en outre en lumière la menace qui pèse sur un patrimoine dont on voudrait faire trop systématiquement table rase.
Construit par Jean Renaudie (1925-1981) à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) en 1981-1982, puis achevé par son fils Serge et par l’architecte Nina Schuch, cet ensemble de 250 logements n’a rien du HLM blême chanté par Renaud ou des grandes barres et tours érigées dans les années 1960 et 1970. Ces bâtiments à l’échelle humaine (trois ou quatre niveaux), tout sauf monotones avec leurs volumes combinant des formes géométriques variées, « répondent exactement aux préconisations du ministère de l’Équipement (villas urbaines durables) pour un habitat d’une densité équilibrée (de petites constructions), respectueuse de son environnement (terrasses plantées retenant les eaux pluviales, nombreux jardins) et résidentielle », souligne Serge Renaudie. Ils constituent en outre une réalisation exemplaire, symbole d’une « utopie urbaine crédible », pour reprendre les termes de l’urbaniste Jean-Pierre Lefebvre. Et valurent à ce titre le grand prix de l’Architecture à leur auteur.
Or une partie de ces bâtiments pourrait être détruite. Laissés totalement à l’abandon par le bailleur (La Sablière, filiale de la SNCF), qui n’assura ni leur maintenance ni leur entretien, quelque 100 logements se sont rapidement dégradés (infiltrations d’eau, squats…). Plutôt que de proposer leur réhabilitation, jugée trop onéreuse, la DDE (direction départementale de l’Équipement) de Seine-Saint-Denis a récemment décidé que les crédits ne porteraient que sur la démolition-reconstruction, une décision conforme à la politique de nettoyage par le vide préconisée par Jean-Louis Borloo. Le ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine prévoit en effet, pour la période 2004-2008 (loi 2003-710 du 1er août 2003), la démolition de 200 000 logements « en cas de nécessité liée à la vétusté, à l’inadaptation à la demande ou à la mise en œuvre du projet urbain » (soit 40 000 chaque année, contre quelque 8 000 en 2002). « Que signifie cette nouvelle doxa : démolir ? Que les décideurs font peser toutes les responsabilités sur le béton, à remodeler ou à démanteler, tant ils ont renoncé à agir sur le reste : l’humain – c’est-à-dire l’éducation, l’emploi, la prévention », estimait récemment François Ruffin, collaborateur au Monde diplomatique (1). Un sentiment partagé par Serge Renaudie, qui a adressé à Jean-Louis Borloo et à Jean-Jacques Aillagon une lettre-pétition en faveur de la sauvegarde des logements de Villetaneuse. Relayée par des personnalités politiques, des architectes (comme Paul Chemetov) ainsi que par divers organismes liés à l’architecture (l’Académie de l’architecture, les architectes conseils, le Mouvement des architectes, le syndicat de l’architecture…), son action commence à porter ses fruits. Signataire, si l’on en croit Serge Renaudie et divers organes de presse, du permis de démolition, le maire de Villetaneuse Jacques Poulet (PCF) se défend aujourd’hui d’avoir donné son accord. « Rien n’est arrêté », affirme sa directrice de cabinet, Évelyne Lavaud, qui ajoute que la mairie n’est pas favorable à la destruction. Le ministère de la Culture, qui affiche depuis la nomination de Jean-Jacques Aillagon son attachement au patrimoine du XXe siècle, suggère pour sa part d’engager, en liaison avec les ministères de la Ville et de l’Équipement et la Communauté de communes, une mission conjointe d’inspection générale. « On pourra ainsi évaluer les alternatives possibles à la démolition », confie un conseiller du ministre. Quant à une demande d’instance de classement au titre des monuments historiques, protection rarement octroyée aux grandes réalisations du logement social (excepté celles de Le Corbusier), celle-ci n’est pour l’instant pas d’actualité, « le ministère de la Culture ne pouvant intervenir de manière unilatérale ». Cette mission d’inspection, si elle aboutit à une politique concertée de réhabilitation, pourrait avoir valeur d’exemple, à l’heure où d’autres bâtiments (la cité de l’Étoile à Bobigny, la cité du parc des Courtillières à Pantin, le foyer Ambroise-Croizat à La Courneuve) sont menacés de démolition...
(1) n° 596, novembre 2003.
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A Villetaneuse, les logements Renaudie en sursis
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°185 du 23 janvier 2004, avec le titre suivant : A Villetaneuse, les logements Renaudie en sursis