La procédure à suivre pour figurer sur la Liste de l’Unesco est longue et complexe. Il faut convaincre les autorités françaises avant de tenter d’obtenir le précieux label décerné par le Comité du patrimoine mondial.
Les enjeux d’un classement au patrimoine mondial de l’Unesco sont bien connus par les acteurs politiques et économiques, mais peu d’entre eux soupçonnent au départ la somme de travail, de diplomatie et d’énergie dépensée pour décrocher le fameux label. Si, dans les années 1980, les premières inscriptions étaient relativement « faciles » à obtenir, la complexification des critères et des exigences de l’organisation internationale, ainsi que l’évolution des contextes géopolitiques, ont transformé une candidature en chemin de croix.
En premier lieu, il faut un porteur de projet convaincu et identifié : charge à lui de convaincre l’État français et le ministère de la Culture de la pertinence de sa démarche. Ainsi, les toits de Paris, un temps évoqués au classement par la maire du 9e arrondissement de la capitale, n’ont que peu de chance de passer les portes du ministère de la Culture, la maire Anne Hidalgo s’opposant au projet. À ce stade, une lettre officielle et un premier projet peuvent suffire à susciter l’intérêt du gouvernement, qui pourra décider de le soutenir. La Commission nationale française pour l’Unesco entre alors dans la procédure, et accompagne le projet pour l’enrichir suivant les critères de sélection, au nombre de dix, édictés par l’organisation des Nations unies. Ce processus peut prendre à lui seul plusieurs années pendant lesquelles les équipes locales rassemblent informations, données, historiques et inventaires. « Cela demande une équipe en interne passionnée, une rédaction locale, un temps intellectuel et une puissante énergie sur le territoire », relate l’ancien maire d’Albi et sénateur du Tarn, Philippe Bonnecarrère, dont la ville a attendu dix ans un classement intervenu en 2010. En Champagne, on se souvient encore des 8 000 pages du dossier final examiné en session pour le classement en 2015 des caves et vignobles de la région.
Une fois adoubé par le ministère et la délégation française à l’Unesco, le site (ou la ville) est inscrit sur la liste indicative de la France, sorte d’antichambre au classement, qui peut cependant devenir une chambre froide. Durant cette période, des soutiens politiques peuvent se révéler utiles pour sortir de la liste indicative. Ancien Premier ministre, le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a fait pencher en sa faveur la candidature de sa ville (classée en 2007) durant le second mandat de Jacques Chirac. Car les États parties ne peuvent présenter lors de chaque session annuelle que deux candidatures, dont l’une au titre de patrimoine naturel. L’examen par l’Unesco prend alors dix-huit mois.
Rééquilibrage géographique mondial
En session de l’Unesco, le poids de la France n’est plus nécessairement aussi important qu’avant : « Il y a une volonté de rééquilibrage géographique, l’Europe est très bien dotée en matière de classement, et la France n’est pas attendue comme la vérité révélée en matière de patrimoine », explique Philippe Bonnecarrère. « Ce n’est pas facile, cela représente un travail très compliqué pour gérer les ambitions de chaque pays », souligne Daniel Janicot, président de la délégation française auprès de l’Unesco, qui a soutenu l’inscription de la « Mappa Mundi » d’Albi (lire l’encadré) en 2015. Ce dernier évoque « des négociations au couteau, des rivalités et des marchandages », chaque pays voulant faire entendre sa voix.
Et l’erreur est tout de suite sanctionnée : en 2012, la France soumet un dossier incomplet pour faire classer la grotte Chauvet (Ardèche) et tente de passer en force en demandant un classement en urgence au motif que la grotte souffre de conditions climatiques dangereuses. L’Icomos (Conseil international des monuments et des sites), dont l’avis consultatif est requis avant chaque session, a alors réfuté la notion de « péril » et la France a dû retirer à la dernière minute son dossier. La grotte a finalement obtenu le fameux sésame en 2014.
Mais pour tous, le jeu en vaut la chandelle : au Havre, qui fête cette année la dixième année de son classement, on se félicite de la bataille menée autour de la figure d’Auguste Perret et l’on évoque une fréquentation touristique en hausse de 20 % depuis 2010, ainsi qu’une image renouvelée du centre-ville.
Créé en 1992 afin de « se prémunir contre l’amnésie collective, en appelant à la sauvegarde des fonds d’archives et des collections de bibliothèques à travers le monde pour en garantir une large diffusion », le registre international « Mémoire du monde » compte à ce jour 348 documents ou ensembles de documents. L’idée du registre est née de la nécessité de protéger un patrimoine fragilisé sur plusieurs plans. Œuvres matérielles exécutées sur des supports parfois organiques et donc instables, les fonds documentaires sur papier et vélin sont victimes du temps et du climat. Œuvres de l’esprit, elles peuvent être la cible d’actions politiques suivant les contextes régionaux et nationaux. Dans la réalité, le classement n’a pris son essor qu’en 1997, avec une série de recommandations normatives concernant la conservation préventive et les moyens de diffusion. Chaque année, l’Unesco lance un appel à candidatures, celles-ci étant examinées tous les deux ans par le Comité consultatif international. Ainsi, l’Allemagne a demandé le classement des archives de Goethe à Weimar ou encore de la partition autographe de la 9e Symphonie de Beethoven, tandis que les États-Unis ont présenté en 2005 la Déclaration d’indépendance.
Depuis la session 2015, la France compte 11 éléments inscrits au Registre Mémoire du monde. Après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les films des Frères Lumière, l’Appel du 18 juin 1940 ou la Tapisserie de Bayeux, le Comité a choisi d’intégrer les archives de Louis Pasteur et la Mappa Mundi d’Albi, représentation géographique du monde au VIIIe siècle. Cette liste n’est pas exempte de polémique. Lors de cette session, le Japon a failli ne pas siéger, s’opposant à l’inscription présentée par la Chine pour les archives des massacres de Nankin durant la Seconde Guerre mondiale : une partie de l’ensemble documentaire portait sur les dossiers des criminels de guerre japonais réunis par les autorités chinoises entre 1952 et 1956.
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Un parcours semé d’embûches
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Un parcours semé d’embûches