Monument

S.O.S. joyaux en péril

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 892 mots

Deux fleurons du patrimoine français, les châteaux de Gaillon et de Villers-Cotterêts, attendent d’urgents travaux de restauration et de mise en valeur de leurs sites.

En France, 41 % des bâtiments classés sont jugés défectueux, à en croire un récent rapport sur l’état sanitaire du parc monumental (lire le JdA n°275, 15 février 2008, p. 5) ; 14,8 % sont jugés partiellement en péril et 4,2 % en situation de péril global. Le château de Villers-Cotterêts, joyau du patrimoine français, situé dans l’Aisne, appartient sans aucun doute à cette dernière catégorie, sans que l’État, propriétaire des lieux, ne semble s’en émouvoir. Construit à partir de 1532 par François 1er, qui y signa l’Ordonnance généralisant le français comme langue officielle, il est désaffecté depuis les années 1980 et menace de tomber en ruine. À part une partie du logis royal (la chapelle royale, le grand et le petit escalier) ouverte à la visite, et la partie des anciens communs où est installée une maison de retraite (appartenant à la Ville de Paris), le château est fermé pour raisons de sécurité. Après divers actes de vandalisme et de pillage sur l’édifice, l’État a assuré le strict minimum : la toiture a été recouverte d’un « parapluie » en tôle et toutes les fenêtres ont été murées. Autant dire que le bâtiment n’a pas fière allure. Les projets de valorisation et les promesses de restauration se sont succédé sans qu’aucun ne soit tenu. Après avoir tenté de se débarrasser du château pour un franc symbolique, l’État s’était finalement engagé à assurer sa restauration, comme en contrepartie au transfert des cendres d’Alexandre Dumas du cimetière de Villers-Cotterêts (sa ville natale) au Panthéon, en novembre 2002. Un grand projet de Maison de la Francophonie, lieu de recherche et de formation autour de la diversité linguistique et culturelle, avait notamment vu le jour et une souscription nationale devait être lancée. En 2003, les travaux de restauration avaient été estimés à 30 millions d’euros, chiffre qui a aujourd’hui sensiblement augmenté. Depuis, plus rien. Le château de Picardie se dégrade un peu plus tous les jours sous les yeux impuissants des autorités et associations locales. Pour sortir de sa torpeur, il lui faudrait avant tout résoudre des problèmes de multipropriété puisqu’il appartient à différents ministères (dont celui des Finances), mais aussi, par petits bouts, à la Ville de Paris et à celle de Villers-Cotterêts. « Il faudrait enfin qu’il y ait une volonté très forte de l’État. Ce n’est pas tant que l’État ne peut pas, c’est qu’il ne veut plus jouer ce rôle, observe un chercheur, spécialiste des châteaux Renaissance. Et de regretter : Avant, la question de la rentabilité n’était pas occultée, mais maintenant, elle préside à chacune de ses actions. »

Restaurations attendues
Dans une situation certes moins dramatique, le château de Gaillon, dans l’Eure, attend lui aussi son heure. Fermé au public, il est exceptionnellement ouvert lors des journées du patrimoine. Témoin privilégié du passage du Moyen Âge à la Renaissance, reconstruit entre 1502 et 1509 par le cardinal Georges d’Amboise (1460-1510), Premier ministre de Louis XII, féru d’art italien, le château de Gaillon a été détruit en grande partie durant la Révolution. Il a été dépecé et certains de ses éléments ont été remontés à l’École des beaux-arts de Paris, tandis qu’un établissement pénitentiaire a été construit sur ses ruines entre 1812 et 1827. Devenue propriété privée en 1919, il a finalement été racheté par l’État en 1975, qui a mené différentes campagnes de restauration sur les éléments architecturaux subsistants in situ : le Châtelet ou pavillon d’entrée et ses décors Renaissance ont été restaurés au début des années 1980, tout comme la galerie sur le Val de la Grande Maison ; les éléments de la Porte de Gênes et de la Galerie des Cerfs ont fait l’objet de soins similaires et ont été remontés à Gaillon en 1977 (ils se trouvaient dans la cour de l’École des beaux-arts de Paris). La Tour de la sirène, seul vestige de la forteresse médiévale, et les appartements de Georges d’Amboise dans la Grande Maison n’ont, de leurs côtés, toujours pas été restaurés. Et le projet de créer à Gaillon un Musée Lapidaire retraçant l’histoire des châteaux vandalisés semble, pour l’heure, aux oubliettes. « L’aspect actuel du château ne plaide pas en sa faveur certes, mais l’édifice n’est pas en danger. Il est entretenu de manière très rigoureuse», tempère Marie-Christiane Delaconte, conservateur régional des Monuments historiques. Les plus optimistes rêvent encore d’y voir revenir les éléments dispersés dans diverses institutions, à commencer par le Musée du Louvre qui expose des pièces comme la fresque en marbre figurant Saint Georges combattant le dragon réalisée par Michel Colombe pour Gaillon, le Torse sculpté du roi Louis XII ou des peintures d’Andrea Solario. D’autres vestiges sont conservés à la Basilique royale de Saint-Denis, au Metropolitan Museum of art de New York et au Musée national de la Renaissance – château d’Écouen, qui possède notamment des boiseries témoignant de la splendeur passée de Gaillon. Le château d’Écouen lui a d’ailleurs récemment consacré une exposition, actuellement visible au Musée des Antiquités de Rouen.
À Gaillon comme à Villers-Cotterêts, aujourd’hui, on espère le secours providentiel de mécènes comme seule issue possible, même si aucune structure précise n’a été mise en place. Comme si le désengagement de l’État était désormais tenu pour acquis et irrémédiable.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : S.O.S. joyaux en péril

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