CAHORS
Fermé depuis six ans, le musée rénové de la préfecture du Lot, s’est attaché à créer du lien avec les habitants et à soigner le confort de visite.
Cahors. Le 21 avril dernier, le Musée archéologique Narbo Via (Narbonne) accueillait une journée d’étude consacrée à une question qui taraude tous les musées en réfection : comment faire en sorte que le public n’oublie pas le lieu et y revienne une fois les travaux achevés ? Une interrogation qui dépasse les enjeux de rentabilité ou la simple conscience professionnelle pour les musées municipaux, départementaux ou d’État, qui ont le devoir d’assurer une continuité de service public et de poursuivre les objectifs de démocratisation culturelle fixés par la loi musée de 2002, alors même que les visiteurs sont absents.
Inquiétante pour certains lieux dont le chantier s’éternise – un cas particulier devenu général avec la crise sanitaire –, la question a été prise à bras-le-corps dans la préfecture du Lot. Le Musée municipal Henri-Martin de Cahors, fermé depuis 2016, part pourtant de loin, tant le souvenir que l’institution a laissé dans la mémoire des Cadurciens est mitigé. « Quand on est allé demander aux habitants leur vision de l’ancien musée, le mot qui revenait était “chargé” », relate Laurent Maciet, artiste en résidence durant le chantier. Rachel Amalric, nommée directrice du lieu en 2019, en prend la mesure dès son arrivée : « Je n’avais même pas la place de mettre un cartel entre deux tableaux ! » À cette muséographie peu engageante, s’ajoutent les épisodes houleux autour de la direction (le précédent directeur Laurent Guillaut a été mis à la retraite d’office par la Mairie en 2015), chroniqués par la presse locale et le JDA, et qui formaient le dernier souvenir laissé par le musée aux habitants avant sa fermeture.
Le week-end de réouverture (6 et 7 mai) fut un véritable succès populaire, « au-delà de tout ce qu’on aurait souhaité », se félicite la directrice. Près d’un quart de la population de Cahors s’est pressé dans les 1 200 mètres carrés du nouveau parcours, 4 500 visiteurs, dans une ambiance festive. « Un visiteur toutes les quinze secondes, a calculé Rachel Amalric. En 2019, notre estimation réaliste de fréquentation était de 15 000 visiteurs par an. Et en une semaine, avec l’inauguration et la Nuit des musées, on en a déjà fait un tiers. » Et dépassé la fréquentation du musée en 2015 (4 000 visiteurs annuels).
À l’origine de ce succès, il y a une commande politique de la Ville : permettre aux habitants de se réapproprier le musée et ses 11 000 objets. Une équipe aussi pour y répondre, modeste, mais qui s’est étoffée avec l’agrandissement du musée : de cinq à une petite vingtaine d’employés municipaux. À sa tête, Rachel Amalric, passée par le MusVerre de Sars-Poteries puis le Musée de Millau et des Grandes Causses, imagine un musée qui ne limite pas la notion de conservation au discours scientifique, mais prend également en compte la composante émotionnelle qui lie les visiteurs aux objets. Développé avec l’universitaire Daniel Schmitt, ce concept d’un « musée lictionnel » est transmis dans un premier temps à l’ensemble du personnel, de la médiation à l’accueil, en passant par la régie, qui est ici pleinement intégrée à la conservation des collections : « Cette appropriation par le public ne peut pas avoir lieu s’il n’y a pas eu appropriation par les équipes. »
Enfin, l’étincelle qui a parachevé ce succès relève sûrement de la résidence des artistes Chantal Perret et Laurent Maciet, un couple à la ville comme pour les actions d’éducation populaire qu’ils mènent depuis les années Jack Lang. Six mois avant le jour de la réouverture, ils reçoivent pour mission de reconnecter les habitants avec leurs collections. En nouant contact avec les associations locales, ils parviennent à toucher quelque 2 000 Cadurciens grâce à des ateliers menés sur les pièces du musée, et dont le résultat est présenté aux côtés des grands décors d’Henri Martin ou autour de la Vénus de Capdneac, trésor néolithique des collections. « On a vu des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée se poser des questions sur les arbitrages de couleur dans un paysage, des questions de peintre, se félicite Laurent Maciet. Quand on les voit revenir plusieurs fois dans la semaine pour montrer leur production, on se dit que pour eux le musée a bien été dédramatisé. »
Le Musée Henri-Martin souhaite mettre à mal l’idée selon laquelle l’institution intimidante, dans laquelle les publics dits « empêchés » ne peuvent pénétrer qu’en leur qualité de « public captif », selon l’expression consacrée. Et si la rénovation extérieure de l’ancien hôtel épiscopal conserve une certaine solennité, avec sa restauration sobre et blanche, et sa petite extension en acier Corten, la nouvelle muséographie se montre, elle, très affable. « Ce qui est de notre ressort, pour assurer le service public que l’on rend, c’est que chacun ressente l’absence de prérequis à la visite du musée », précise Rachel Amalric avant de présenter le nouveau parcours.>
Une fois traversée la salle à manger des évêques (seule trace de l’aménagement historique dans le bâtiment), et la Vénus de Capdenac qui y trône entourée de 800 terres cuites réalisées par des Cadurciens, le nouveau musée s’ouvre sur une salle qui répond à la question qui a le plus souvent été posée durant les six mois de préparation à l’ouverture : comment la collection s’est-elle constituée ? Puis le parcours se développe autour d’un fil rouge territorial, qui permet de relier des œuvres aussi diverses que les reliques de Léon Gambetta, l’enfant du pays, la statue du dieu polynésien Rongo, reconnue trésor national, et les vestiges de la villa gallo-romaine Divona Cadurcorum, dont un impressionnant linteau orné. Le confort du visiteur l’emporte sur l’élégance de la scénographie : des textes lisibles, un accrochage avec peu d’œuvres et un effort de médiation sur chacune. Le musée a d’ailleurs fait appel à une signaléticienne pour s’assurer de la fluidité de la visite.
Cette prise en compte du confort n’empêche en rien les moments de grâce dans le parcours, comme dans la galerie Henri-Martin, le peintre post-impressionniste amoureux du Lot qui donne son nom au musée, et dont la diversité de la touche est joliment mise en valeur par le travail d’éclairage des équipes du musée.
Pour faire revenir les habitants dans les galeries du musée, l’idée est désormais de travailler sur un accrochage mouvant au fil du temps. De la salle « suspendue », qui présente en ce moment la peintre lotoise Edmée Larnaudie, à celle consacrée aux peintres qui se sont installés dans le Quercy, rien ne semble figé dans le nouveau musée. Sauf, peut-être, le grand monument aux morts de Cahors d’Henri Martin, un monument de peinture autour duquel s’organise le parcours.
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Réouverture en fanfare du musée Henri-Martin à Cahors
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°590 du 27 mai 2022, avec le titre suivant : La réouverture en fanfare du musée Henri-Martin à Cahors