Bénéficiant de la levée, en 1991, de l’interdiction de fouilles aux étrangers en Chine, une équipe de chercheurs du CNRS, accompagnés de membres de l’Institut d’archéologie du Xinjiang, ont pu explorer la vallée de la Keriya, dans le désert du Taklamakan. La Fondation EDF, Espace Electra, à Paris, expose les divers vestiges mis au jour au cours de leurs différentes expéditions, et restaurés par le laboratoire EDF-Valectra. Chercheur au CNRS, co-directrice de la mission franco-chinoise au Xinjiang, Corinne Debaine-Francfort, évoque cette aventure.
En 1991, la mission franco-chinoise part à la découverte de la vallée de la Keriya. Quels ont été vos premiers contacts avec cette région ?
Il n’y avait pas eu de fouilles dans la région depuis 1910, d’où la curieuse impression que nous avons eue en retrouvant le site après tant d’années. Notre premier contact avec cette région remonte à 1991, lors d’une mission exploratoire. Les conditions étaient difficiles pour tout le monde. Nous avons été très surpris : nous nous sommes aperçus d’une part que les Jeep et les camions ne franchissaient pas les dunes, et qu’il faudrait monter des caravanes de chameaux si nous voulions poursuivre. D’autre part, nos duvets en plume de canard ne résistaient pas du tout à des écarts de température énormes, allant de –15°C la nuit à 35°C le jour. C’était très brutal.
L’exposition met en exergue la découverte de vestiges datant du début de notre ère, mais aussi un site fortifié beaucoup plus ancien...
Sur le terrain, nous avons procédé à rebrousse-temps, en partant du delta actuel de la Keriya. Tout d’abord, nous avons retrouvé, non sans peine, en 1991, le site de Karadong, delta antique de la Keriya (datant du Ier au IIIe siècle de notre ère). Ce site comprenait les restes des deux petits sanctuaires bouddhiques dont les ruines nous ont permis de reconstituer leur architecture et leurs décors. Cette étape est très importante dans la mesure où ces vestiges bouddhiques se sont très vite avérés être les plus anciens du Xinjiang. Les peintures bouddhiques sont aussi les plus anciennes de Chine, sans équivalent en Inde pour la même époque, où les modèles peints n’ont pas été conservés. Le site de Karadong a ensuite servi de base à nos recherches : une partie de l’équipe a continué à y fouiller pendant qu’une autre partait en prospection plus loin vers le nord-ouest, où nous espérions trouver des vestiges encore plus anciens. Au bout de la troisième année de prospection, nous avons enfin découvert ce que nous cherchions depuis le début : la preuve d’une occupation humaine antérieure au début de notre ère et à la dynastie des Han. Il s’agit d’une cité fortifiée, Djoumboulak-Koum, située dans un autre delta asséché de la Keriya, le delta protohistorique, occupé au premier millénaire avant notre ère. Nous avons ensuite procédé de la même manière qu’à Karadong, c’est-à-dire qu’une partie de l’équipe fouillait sur le site et, de nouveau, des éclaireurs étaient envoyés encore plus loin. Nous y avons trouvé des traces qui nous mènerons, un peu plus tard, vers des vestiges de l’âge du bronze. Une mission à l’automne prochain devrait nous permettre de continuer à remonter le temps...
Et que nous révèle le site de Djoumboulak-Koum ?
Sa découverte est très importante parce que cette ancienne grande oasis est le premier site d’habitat connu au Xinjiang pour cette époque. Il s’agit d’un site fortifié de sédentaires qui pratiquaient l’irrigation. Là où nous nous attendions à voir des nomades, nous avons trouvé une population d’agriculteurs cultivant des céréales. Ouverte sur le monde, la région était également en contact avec ses voisines, que ce soit la Chine (vers l’est), le nord de l’Inde (au sud) ou des zones plus occidentales. Nous avons découvert – à travers le décor animalierde certaines pièces, avec des représentations de griffons aux motifs géométriques – que cette région appartient au même univers culturel que le monde des steppes...
Comment les relations franco-chinoises se sont-elles mises en place ?
Depuis les années 1980, des contacts avaient été établis avec l’Institut d’archéologie du Xinjiang par le directeur de cette équipe du CNRS qui travaillait en Asie centrale. Des premiers échanges se sont faits entre collègues, sous forme de lettres, de documents. Nous sommes allés en Chine et les chercheurs chinois sont venus en France... Les contacts étaient très lents à se mettre en place, un peu formels au départ. Puis, Idriss Abduressul [actuel directeur de la mission franco-chinoise au Xinjiang pour la partie chinoise et commissaire de l’exposition] est venu faire un stage de trois mois en France. Je suis allée à mon tour trois mois à l’Institut d’archéologie du Xinjiang en tant que stagiaire, en 1986, époque où nous n’avions pas accès aux sites archéologiques. Petit à petit, en m’intégrant à la vie de l’Institut, en travaillant à la bibliothèque, on m’a entrouvert la porte d’une réserve. J’ai pu voir un peu de matériel. Puis, on m’a emmenée en pique-nique, le 1er octobre (jour de la fête nationale) sur mon premier site archéologique. Ils m’ont fait confiance. Des liens se sont tissés entre nous, mais cela s’est étalé sur plusieurs années.
Cette campagne constitue-t-elle une étape importante pour la recherche archéologique en Chine ?
Oui. D’autant plus que l’archéologie en Chine, comme dans beaucoup d’autres pays, est un domaine sensible, lié à l’histoire, à l’identité nationale. Il est exceptionnel qu’ils nous aient laissés sortir du matériel non publié. Cela ne s’était jamais fait. Toutes les expositions concernent d’habitude du matériel connu qu’ils laissent éventuellement choisir à partir d’une présélection. Cette exposition est le reflet d’une réelle coopération. On nous a donné la possibilité de travailler sur le terrain et d’exposer un matériel complètement inédit. Cela marque indéniablement une volonté d’ouverture.
- KERIYA – MÉMOIRE D’UN FLEUVE, jusqu’au 27 mai, Fondation EDF, Espace Electra, 6 rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 26 45, tlj sauf lundi et jours fériés, 12h-19h. Catalogue, 245 p., 290 F. Lire aussi le hors-série de L’Œil, 25 F.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
À rebrousse-temps le long de la Keriya
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : À rebrousse-temps le long de la Keriya