La redistribution des collections nationales d’arts premiers pose la question de l’affectation des bâtiments qui les conservaient jusque-là. Si le Musée de l’homme poursuit sa mission au palais du Trocadéro, l’affectation du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (MAOO) reste encore un mystère, mais les idées circulent. Se pose en effet la question d’un projet culturel d’ampleur nationale qui tienne compte de l’histoire et de la nature du lieu.
L’ancien “Musée permanent des Colonies”, commandé en 1928 par le ministère des Colonies sur un terrain appartenant à la Ville de Paris et terminé en 1931 par Albert Laprade, n’est pas un lieu anonyme. Dernier témoin de l’Exposition coloniale, ce palais de béton et de pierre est la première manifestation d’un style monumental qui triomphe, six ans plus tard, avec ceux de Chaillot et de Tokyo et les pavillons de l’Exposition universelle de 1937. Devenu entre-temps “Musée de la France d’Outremer”, il ne passe sous la tutelle du ministère de la Culture qu’en 1960, lorsque André Malraux lui donne son affectation et son nom actuel. En 1971, le musée de la Porte Dorée devient musée national.
Conçu à l’origine pour participer à l’effort de propagande coloniale, il en conserve un décor à la gloire d’une “plus grande France” et reste à Paris le “beau” bâtiment intact de la période Art déco. Il garde en réserve d’importantes collections d’art européen dit aujourd’hui africaniste. Non seulement sa façade est agrémentée d’un relief monumental d’Alfred Janniot – l’artiste qui a également signé les reliefs du palais de Tokyo –, mais ses salons d’apparat sont ornés de fresques des grands muralistes de l’époque, comme Ducos de La Haille ou Bouquet, et deux sont meublés par des vedettes de l’Art déco : Ruhlmann et Printz. Une douzaine de panneaux de laque de Dunand, des ferronneries signées Poillerat, Subes et Jean Prouvé achèvent d’en faire un des hauts lieux des arts décoratifs de l’entre-deux-guerres.
Souvenir honteux d’un passé colonial honni ? Décor trop riche et trop précieux pour les années du design et du plastique ? Dès les années soixante-dix, le décor monumental est occulté : les fresques sont cachées par des cloisons, les espaces d’apparat entresolés, l’ensemble des laques de Dunand pour la bibliothèque démantelés, les salons de Printz et de Ruhlmann fermés et menacés à plusieurs reprises d’être vidés de leur mobilier. Il fut même question de masquer le relief extérieur de Janniot sous un pudique habillage qui aurait en quelque sorte “relooké” le bâtiment. Le “postmodernisme” des années quatre-vingt met fin à cette ère du mépris. L’exposition “Réalismes”, à Beaubourg en 1980, suivie d’une série d’autres, ressuscite le goût pour des courants artistiques oubliés. Le décor et l’ameublement du palais profitent de ces redécouvertes. Les fresques murales et le relief extérieur sont restaurés, le mobilier à nouveau visible et les espaces intérieurs restitués dans leur état d’origine. Le bâtiment lui-même est soigneusement entretenu. Bref, à ce jour, le Maao brille comme un sou neuf et sa réputation a été définitivement établie par le récent passage à sa tête de Jean Hubert Martin, qui a su y créer l’événement et faire de ses expositions, africaines ou comparatives, des réussites.
Il ne reste plus qu’à lui donner une fonction. Compte tenu de la nature exceptionnelle du lieu, il semblerait logique de consacrer le musée de la Porte Dorée aux arts décoratifs des années vingt à quarante. Dans ce domaine, la situation des collections publiques parisiennes, partagées entre institutions aux statuts divers, est particulièrement préoccupante, que ce soit sur le plan des acquisitions ou de la présentation au public. Les collections du Musée d’Orsay s’arrêtent en 1905-1910. Le Centre de création industrielle (CCI) ne s’attache qu’à un aspect particulier de la création dite industrielle ; le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a remisé toutes ses collections Art déco en réserve ; quant au Mobilier national, qui a joué un rôle capital dans la commande du XXe siècle et possède des ensembles importants, montrés récemment lors d’expositions mémorables, il ne possède aucun espace permettant de les rendre accessibles au public. Reste le Musée des arts décoratifs. Les récentes adjonctions du Musée de la mode et du costume puis du Musée de la publicité ont réduit à peu de choses l’accroissement de sa surface au sein du Grand Louvre, et le programme muséologique actuellement mis en œuvre, fondé sur un strict parcours chronologique, le contraint à de nouveaux choix draconiens.
Aujourd’hui, aucune institution parisienne ou nationale n’est en mesure, que ce soit pour des raisons de budget, d’espace ou de choix esthétique, de donner la place qu’ils méritent aux arts décoratifs, qui flambent sur le marché international. Dans les années soixante à quatre-vingt, en dehors de quelques initiatives institutionnelles françaises, le patrimoine Art déco français a été acheté par des musées étrangers, principalement allemands et américains, ou par des collectionneurs privés. Et il en est de même aujourd’hui pour les créations des années quarante, cinquante et de la seconde moitié du siècle, qu’aucun musée bientôt ne sera capable de suivre.
La Porte Dorée serait donc le lieu idéal pour rassembler une partie des collections nationales existantes du CCI, des Arts décoratifs, du Mobilier national et du Fond national d’art contemporain. Le Musée des arts décoratifs, institution privée à caractère public, ne pourrait-il ici jouer un rôle fédérateur ? Il avait lui-même envisagé un moment d’installer Porte Dorée (parmi d’autres lieux) des “réserves bis”, mais les budgets n’avaient pas suivi. Un projet plus ambitieux aurait-il plus de chance ?
Actuellement le sort du musée ne semble pas d’actualité. Le dernier “contrat de plan” entre la Région, l’État et la Ville n’en fait pas état, et la Ville de Paris n’envisage pas de remettre en cause la concession du terrain faite en 1927. “La question n’est pas à l’ordre du jour, nous a-t-il été répondu en substance rue de Valois, et nous devons compter avec les crocodiles qui sont gérés par le ministère de l’Éducation nationale ; ça n’est pas si simple”. Interrogée, Françoise Cachin pense que “la nature du projet devrait être liée à celle du bâtiment” et a lancé le mot de “musée des années trente” sans vouloir s’avancer plus avant. Quelle que soit la solution retenue, il serait dommage de laisser passer une telle occasion, qui ne coûterait rien à l’État puisqu’il ne s’agit, dans un premier temps, que de rassembler des collections dans un bâtiment apte aujourd’hui à les recevoir. La présence d’un tel musée pourrait alors susciter de la part de collectionneurs, d’artistes et de leurs héritiers, les dons (ou dations) d’œuvres et d’archives qui prennent actuellement le chemin des maisons de vente étrangères.
L’histoire de la création d’un Musée des arts premiers illustre bien qu’une initiative dans ce domaine ne peut aboutir sans une volonté politique qui puisse transcender les clivages administratifs. La situation de la Porte Dorée, dans un quartier marqué par les années trente – la remarquable église du Saint-Esprit de l’architecte Tournon – et traditionnellement lié à l’artisanat et à l’industrie du meuble, contribuerait enfin au rééquilibrage des institutions culturelles dans l’est de Paris.
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Que faire du Maao ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Que faire du Maao ?