Philippe Luez, directeur du Musée de Port-Royal des Champs, commente les grands projets du site des jansénistes.
Philippe Luez (âgé de 50 ans), conservateur en chef, dirige le Musée national de Port-Royal des Champs (Yvelines) depuis 2005. Auparavant il a notamment été conservateur au Musée national du château de Compiègne (Oise), en charge de l’inventaire à la direction régionale des Affaires culturelles de Champagne-Ardenne, et chargé de mission à la direction des Musées de France pour le récolement des œuvres d’art. Il commente les projets en cours autour du « Grand Port-Royal ».
Dix ans après, quel bilan tirez- vous de la réunification du site des Granges et de celui de l’abbaye ?
Il y avait effectivement deux sites jusqu’en 2004. Vendu comme bien national au moment de la Révolution, le domaine a été partagé entre le site de l’abbaye dans la vallée et l’ancienne ferme des Granges sur le plateau. Le site de l’abbaye a été ouvert au public au milieu du XIXe siècle. Le musée privé qui s’y trouvait a été installé dans un petit oratoire construit en 1891 à l’emplacement du chevet. Le site est resté en main privée jusqu’en 2004. Aux Granges, l’ancien logis XVIIe a été réaménagé vers 1850 par un autre propriétaire janséniste. Ce bâtiment est racheté par l’État en 1952 qui y crée le « Musée des Granges »sous la direction de Bernard Dorival, dont on célébrera le centenaire de la naissance cette année. À la demande de la ministre de la Culture de l’époque, Catherine Trautmann, l’Inspection générale des affaires culturelles remet en 1999 un rapport qui préconise la réunification du domaine, la création d’une structure associant les collectivités locales à la gestion de l’établissement, et esquisse un projet de « Grand Port-Royal ».
Pour répondre à votre question, c’est une véritable refondation pour le musée ! À terme, les visiteurs pourront parcourir la totalité du site et visiter un musée unique dans lequel les œuvres les plus importantes seront présentées. Pour autant, cette réunification n’est pas simple : la dotation de l’État n’a pas augmenté après 2004, nos effectifs ont même baissé, ce qui, pour le moment, nous oblige à n’ouvrir l’abbaye que les après-midi des samedis et dimanches. Le public préfère naturellement venir lorsque les deux sites sont ouverts : près de 80 % des visiteurs viennent le week-end ! Il faudrait pouvoir rouvrir l’abbaye en semaine, comme avant 2004.
Vous parlez d’une structure associant les collectivités à la gestion de Port-Royal des Champs ; quelle est-elle ?
Le musée est géré par un groupement d’intérêt public (GIP). Créée en 2007 pour une durée initiale de sept ans, cette structure rassemble l’État, la Région Île-de-France, le Département des Yvelines, la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, la commune de Magny-les-Hameaux et la Société de Port-Royal, ancien propriétaire de l’abbaye.
Le GIP nous donne la personnalité juridique et donc une certaine marge de manœuvre. C’est un lieu de discussion qui permet d’élaborer des projets avec les partenaires locaux. C’est au sein du GIP par exemple que nous travaillons avec le Département sur l’aménagement routier des abords du site. Les services techniques de Magny nous apportent leur aide lors des manifestations ; l’agglomération a financé les travaux du centre de ressources du musée et met un agent à disposition. De mon côté, j’ai pu intervenir auprès de la commune ou du parc naturel régional de la Haute Vallée de la Chevreuse sur des dossiers patrimoniaux communs.
Ce GIP est en cours de renouvellement. J’en suis heureux, car cette structure atypique est un vrai atout, par rapport à la structure traditionnelle SCN (service à compétence nationale) qui est celle des autres musées nationaux dépendants du ministère de la Culture. Avec le renouvellement de la convention, les collectivités ont fortement réaffirmé leur attachement à cette structure. Maintenant que les travaux commencent, je suis persuadé que le GIP va connaître une nouvelle dynamique.
Justement, où en sont les travaux prévus dans le cadre du « Plan musées en régions » de l’ancien ministre Frédéric Mitterrand ?
Plusieurs séries de travaux étaient déjà prévues avant. Le « Plan musées » de 2011 est venu conforter nos projets. Entre 2007 et 2013, le ministère de la Culture a engagé près de 5 millions d’euros sur le site. En 2008, nous avons restauré le « logis des Solitaires » dans la ferme des Granges. En 2012, nous avons retrouvé les restes d’une ancienne tour construite en 1651 près de l’ancienne porte de l’abbaye. Elle sera restaurée au printemps prochain. En 2013, nous avons remis en état le mur de clôture nord de l’abbaye. Nous travaillons actuellement à une extension du musée dans le logis des Solitaires : 100 mètres carrés supplémentaires, au total 300 m² pour les collections permanentes et 100 m² pour les expositions temporaires, un chantier comprenant les travaux d’accessibilité et la remise aux normes de l’ensemble des bâtiments. Le musée ne devrait être fermé que quelques mois.
Allez-vous profiter de cette extension pour changer la muséographie ?
Oui bien sûr. J’avais déjà revu le parcours à mon arrivée en 2005. L’ancien parcours, imaginé par Bernard Dorival, avait été complété pendant plus de trente ans par mes prédécesseurs au fil des acquisitions. Mais avec l’important dépôt de la Société de Port-Royal, il demandait à être entièrement synthétisé.
Le sujet reste complexe et l’ancienne présentation est austère et difficile pour le public. Je souhaite aller vers un musée comme on en voit dans les pays scandinaves, qui allient la théâtralité de la scénographie anglo-saxonne à la mise en valeur des objets. Nous essayons d’avoir une programmation régulière d’expositions temporaires. Celles-ci sont, depuis plusieurs années, entièrement financées par l’établissement. La Réunion des musées nationaux, qui a organisé l’exposition des dessins des Champaigne en 2009, produira l’exposition temporaire de réouverture du musée en 2017.
Quelle est la fréquentation annuelle du musée ?
La fréquentation moyenne tourne autour de 20 000 visiteurs. En raison de notre emplacement en pleine campagne, nous sommes très dépendants des conditions météorologiques. Cette année, avec 19 123 visiteurs, la fréquentation s’inscrit dans la moyenne des cinq dernières années. Le profil des visiteurs est très varié : un tiers de locaux, un tiers de Franciliens et un tiers d’étrangers. Le site a la chance d’offrir plusieurs thèmes de visite : l’histoire du jansénisme bien sûr, la collection avec des ensembles forts autour de Philippe de Champaigne et de Jean Restout, la littérature (Pascal, Racine), l’histoire des Petites Écoles – qui permet de faire venir des scolaires sans aborder de front le thème religieux, qui effraie toujours les enseignants – et enfin le site naturel protégé, très fréquenté par les randonneurs.
Le musée a-t-il la notoriété qu’il devrait avoir ?
C’est tout le problème… Nos concitoyens connaissent souvent « Port-Royal des Champs » de nom, au moins pour en avoir entendu parler au lycée. Mais ils savent rarement où le site se trouve et encore moins qu’il existe un musée. Comme pour la plupart des musées nationaux, la communication est le point défaillant. Faute de moyens, financiers et humains, il nous est particulièrement difficile de faire connaître le musée et tout ce qui s’y passe.
En 2004, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres avait annoncé lors de la signature de la donation de l’abbaye à l’État qu’il souhaitait faire de Port-Royal un centre sur la tolérance. Ce projet a-t-il vu le jour ?
Le ministre voyait Port-Royal affilié au réseau des centres culturels de rencontre. Une telle adhésion aurait nécessité plus de moyens que ceux dont dispose aujourd’hui l’établissement. Mais c’est dans cet esprit que j’essaye d’animer les lieux. Outre la programmation d’exposition et des projets de résidences avec le département et la région, j’ai résolument choisi de jouer la carte de la musique. Avec le soutien de l’Association pour le rayonnement de Port-Royal, nous organisons une dizaine de concerts chaque année et participons à l’enregistrement de nombreux disques.
Le Musée touche-t-il le public scolaire ?
Nous essayons d’avoir une politique très dynamique en direction des scolaires : grâce aux conventions que nous avons depuis plusieurs années avec un collège et un lycée de Trappes, nous accueillons régulièrement des enfants de ZUS [zones urbaines sensibles]. Certains de ces jeunes, que j’ai reçus au musée lorsqu’ils étaient en 4e, font aujourd’hui des études classiques. Nous organisons de très nombreux ateliers avec nos trois sociétés d’amis, qui accueillent près de 2 000 enfants chaque année. J’en profite pour saluer le travail des bénévoles : j’ai calculé qu’il double notre propre effectif à l’année. Nous organisons enfin, depuis huit ans, les « Portes du temps », opération du ministère de la Culture qui nous permet d’accueillir chaque année 1 500 enfants des quartiers défavorisés pendant l’été. C’est, pour moi et l’équipe du musée, une des manifestations les plus importantes et sans doute la plus emblématique.
Le « Grand » Port-Royal n’avait-il pas une dimension paysagère ?
Si, tout à fait. Port-Royal est dans le périmètre du parc naturel de la Haute Vallée de Chevreuse. Le projet de 2004 prévoyait un vaste chantier paysagé sur l’ensemble de la vallée : il est toujours d’actualité. L’enlèvement des arbres de la pépinière en face des Granges, il y a quelques mois, permet de retrouver l’ancien plateau céréalier du XVIIIe siècle. À notre niveau : grâce à l’aide des bénévoles, nous dégageons progressivement l’ancien étang de l’abbaye. La restauration de la digue permettrait de rouvrir une ancienne chaussée XVIIe et ainsi d’offrir un circuit pédestre tout autour de l’abbaye. Elle pourrait devenir l’un des projets forts avec nos partenaires locaux.
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Philippe Luez : « Une véritable refondation pour le musée »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Philippe Luez, directeur du Musée national de Port-Royal des Champs « Une véritable refondation pour le musée »