SAINT-NAZAIRE
Le vaste projet de parcs d’éoliennes au large des côtes françaises, prévu pour 2015-2020, n’a pas encore pris en considération les possibles vestiges sous-marins. Pourtant, si aucune mesure d’archéologie préventive n’est mise sur pied, un patrimoine considérable risque d’être anéanti dans des zones qui n’ont que rarement été fouillées.
SAINT-NAZAIRE - D’ici à 2015-2020, cinq parcs éoliens doivent être installés au large des côtes françaises, sur une surface totale de 533 km2, dans le cadre de la politique de production d’énergie renouvelable lancée par l’État. Au total, près de 1 300 machines devraient prendre place dans les zones du Tréport et de Fécamp (Seine-Maritime), de Courseulles-sur-Mer (Calvados), Saint-Brieuc (Côtes d’Armor) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Le projet, doté d’un budget de 10 milliards d’euros, n’a, à ce jour, pas pris en considération la dimension patrimoniale du chantier. Sachant qu’une éolienne repose sur un socle de quelque 3000 tonnes de bétons, c’est tout un pan du patrimoine sous-marin qui pourrait disparaître dans des endroits qui n’ont fait que rarement l’objet de fouilles archéologiques.
Conservateur en chef du patrimoine et ancien directeur du Musée Dobrée à Nantes, Jacques Santrot, s’appuie sur l’association Forum Nantes Patrimoines pour tirer la sonnette d’alarme auprès des pouvoirs publics. Il appelle au lancement d’une vaste campagne d’archéologie préventive dans la zone qu’il connaît bien : celle de la Loire-Atlantique où l’installation de 170 à 230 éoliennes est prévue. Ce territoire aquatique a été peu fouillé. Mais son riche passé en fait un site prometteur. Depuis la préhistoire, la zone des estuaires de la Loire et de la Vilaine est au cœur de nombreux échanges, lieu de passage du sel, de l’étain et du vin durant l’Antiquité. Elle est incluse dans le développement des relations transocéaniques avec les Amériques, l’Afrique ou l’Asie. Et, en mer, les vestiges sont souvent conservés dans de très bonnes conditions.
Près de 15 000 épaves
En France, le patrimoine archéologique des côtes françaises relève de la propriété de l’État, qui agit par le biais du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) émanant de la direction des Patrimoines au ministère de la Culture. C’est le Drassm qui réunit depuis les années 1960 les informations relatives à l’existence de potentiels vestiges archéologiques. Entre 10 000 et 15 000 épaves pourraient dormir au fond de l’océan Atlantique côté français.
Prescripteur des fouilles, le Drassm n’a jusqu’alors pas été saisi du dossier, mais il a répondu ponctuellement à divers cabinets d’étude sollicités par des aménageurs. Quant à l’enquête environnementale commandée en concertation avec le secrétariat général pour les affaires régionales (en Pays de la Loire), elle ne prend pas en compte une problématique à laquelle les pouvoirs publics français semblent encore peu sensibles. Le pays n’est en effet pas en avance sur le sujet. Rappelons que, contrairement à ses voisins espagnols ou italiens, la France n’a pas signé la Convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, élaborée en 2001 et entrée en vigueur en 2009. « Nous avons quarante à cinquante ans de retard sur la moralisation de ce qui se passe en mer, explique Jacques Santrot. Il faut, pendant qu’il en est encore temps, organiser la recherche en mer sans que cela coûte cher à l’État ou aux collectivités. Des moyens financiers pourraient être obtenus auprès des aménageurs par le biais d’une redevance de l’archéologie sous-marine calquée sur celle prévue, pour l’archéologie terrestre, par le Code du patrimoine. »
S’inspirant directement du système mis en place par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur terre, l’idée serait de réserver une infime partie des budgets engagés à la réalisation de diagnostics dans les zones à risques. Si cela se révèle indispensable, des campagnes de fouilles sous-marines seraient lancées. L’initiative ne sera pas nécessairement du goût de tous. On se souvient de la fronde de certains élus locaux contre l’Inrap, accusé de retarder considérablement les travaux d’aménagement du territoire « pour quelques bouts de cailloux ». Souvent embarrassé par ces problèmes d’ordre plus idéologiqu’économique, le ministère de la Culture n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Cependant, le sujet est dans l’air du temps. Pour preuve, l’Inrap a mis sur pied il y a quelques mois un service dédié à l’archéologie subaquatique, qui a d’ores et déjà programmé deux opérations, à Calais et dans l’île de la Réunion. Les archéologues de l’Inrap pourraient être appelés au large des côtes françaises si la tutelle de l’institut, le ministère de la Culture, le souhaitait. Le devenir du patrimoine sous-marin est, lui aussi, suspendu à une volonté politique.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Péril sous la mer
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Péril sous la mer