Un panorama peint à fresque au premier siècle de notre ère et représentant une vaste cité fortifiée a été découvert à Rome, sur le site de l’antique Domus Aurea, la villa romaine de Néron. Si les scientifiques sont divisés sur l’identification de la ville représentée, tous s’accordent à réclamer le maintien de la fresque in situ.
ROME (de notre correspondante) - Ce genre de découverte passionne aussi bien les archéologues que le public. Le 27 février, un talus masquant un mur dans une galerie souterraine à Rome s’est effondré, révélant une immense fresque antique en excellent état (lire le JdA n° 56, 13 mars). Peinte il y a dix-huit siècles, sur 4 m de large et 3 m de haut, elle représente un panorama étonnamment détaillé d’une ville impériale fortifiée. La découverte a été faite dans ce qui fut autrefois un cryptoportique (galerie couverte) sur la colline de l’Oppius, une partie de la ville négligée à l’époque moderne, située à l’est du Tibre et à la périphérie du site archéologique central de Rome. Si la colline est aujourd’hui fréquentée par les prostituées et les sans-abri, Néron y avait fait bâtir sa villa, la Domus Aurea, à la suite du grand incendie de Rome en l’an 64 après J.-C. Le site avait également été choisi par Titus, en l’an 80, et par Trajan, en 104, pour la construction d’immenses thermes dont il ne reste presque rien. En 1991, la Surintendance de Rome a entrepris des recherches archéologiques préliminaires autour des thermes de Trajan et, sous la salle principale, a découvert la galerie où se trouve la fresque. Celle-ci est dans l’alignement des vestiges de la Domus Aurea, et non dans celui des thermes de Trajan au-dessus, mais les dernières études suggèrent que le briquetage est postérieur à la période néronienne.
Sous des amas de terre
À l’époque de Napoléon, des explosifs avaient été stockés dans cette zone. Par la suite, l’ambitieux programme de travaux publics de Mussolini a transformé la colline de l’Oppius en décharge pour la terre excavée au centre de Rome. Les archéologues tentent maintenant de déblayer ces amas de terre, tandis que la colline est transformée en un site archéologique qui devrait être accessible au public pour l’an 2000.
Par sa taille et la précision des détails architecturaux, la fresque se distingue de toute autre peinture murale de l’Antiquité. La partie supérieure gauche montre la berge d’une rivière, avec un mur de soutènement et un pont couvert. Le mur, ponctué de tourelles carrées à intervalles réguliers et d’une porte monumentale, se prolonge vers la droite, encerclant le site urbain. Ces bâtiments publics sont entourés d’une agglomération de maisons plus petites, dont un grand nombre, vraisemblablement construites en bois, présentent des balcons couverts.
“C’est la première fois que nous avons la représentation d’une ville à cette échelle comme sujet de fresque, a déclaré le surintendant Eugenio La Rocca. Dans le passé, nous avons eu de petites vues citadines qui étaient des parties de quelque chose d’autre, dans les villa de Pompéi par exemple... Les capacités techniques de ce peintre sont extraordinaires : la perspective est rendue clairement et avec assurance ; les détails architecturaux méticuleux sont brillamment exécutés avec des coups de pinceau rapides. L’utilisation des petites touches de blanc pour montrer le jeu de lumière est tout aussi fascinante. C’est un chef-d’œuvre de la peinture du premier siècle après J.-C.”.
Plusieurs identifications de la ville représentée ont été proposées. Pour Antonio Giuliano, professeur d’archéologie à l’université Tor Vergata de Rome, la fresque est similaire à d’autres peintures murales découvertes dans le palais : “Je pense que l’artiste [qui l’a peinte] faisait partie d’une équipe très qualifiée, employée pour la décoration de la Domus Aurea”.
Difficile identification
Certains des premiers rapports ont affirmé que la fresque était un portrait de Rome, peut-être la vue nostalgique de la ville telle qu’elle apparaissait avant le grand incendie de l’an 64. Cette théorie a depuis été réfutée. Susan Walker, historienne de l’art romain au British Museum, pense que si cette fresque a été peinte au premier siècle après J.-C., comme on le croit, les murs imposants qui entourent la ville sont alors anachroniques. Rome a été entourée de murs au IVe siècle av. J.-C. mais, au premier siècle de notre ère, les murailles ont été intégrées à la cité impériale. Ce n’est qu’au IVe siècle ap. J.-C. que l’empereur Aurélien a construit les nouvelles fortifications qui ont survécu jusqu’à nos jours. D’autres problèmes rendent l’identification avec Rome peu plausible : la position des bâtiments publics ne correspond pas à celle des vestiges archéologiques. D’après le professeur Giuliano, la ville pourrait être un centre grec prospère, comme Pergame ou Éphèse, ou une compilation imaginaire de plusieurs cités. De son côté, l’historien de l’art italien Federico Zeri a avancé le nom de Londres, où subsistent quelques vestiges des fortifications érigées sous le règne de l’empereur Claude. La rivière serait donc la Tamise. Quelle que soit la ville décrite, estime Eugenio La Rocca, la fresque est “une expression du triomphe impérial romain. Elle donne finalement une réalité physique à ce qui, auparavant, ne pouvait qu’être imaginé à partir de descriptions littéraires : des panneaux exposant des représentations picturales des villes conquises qui étaient montrés au public pendant les célébrations impériales triomphantes”.
Environ deux mètres de fresque sont encore sous terre, et l’excavation du site se poursuit parallèlement à celle de la Domus Aurea. Une fois ces opérations terminées, la fresque sera entièrement nettoyée, et tous les archéologues réclament son maintien in situ.
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Mystérieux panorama
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : Mystérieux panorama