Marie-Pierre Foissy, conservatrice du Musée des arts asiatiques de Nice, présente une Tête de Shiva originaire du royaume de Champa, au Vietnam (VIIIe-IXe siècle).
Shiva, reconnaissable ici au troisième œil frontal et au croissant de lune ornant son chignon d’ascète, incarne l’un des aspects de la « Trinité » hindouiste, avec Brahma, le créateur, et Vishnu, le principe préservateur de la Création.
Divinité complexe, Shiva représente les énergies opposées à l’œuvre dans le cosmos, création et destruction, méditation (ascétisme) et action, vie et mort… Sa manifestation la plus abstraite et la plus répandue en Inde est celle du linga, phallus sacré symbolisant son pouvoir créateur, généralement figuré émergeant du yoni, principe féminin, image de Devi, la déesse-mère des origines.
Ainsi que l’indiquent les fixations situées à la base du long cou – orné des trois « plis de beauté », typiques du canon indien de la beauté –, cette tête était fixée à un élément aujourd’hui disparu, le linga-kosa, étui couvre-linga recouvrant la partie supérieure d’un linga.
En Inde, en effet, les shivaïtes, qu’ils soient prêtres, souverains ou dévots pouvaient offrir un kosa en offrande à la divinité. Cette coutume semble avoir pris, dans la culture chame fortement influencée par l’hindouisme et qui s’épanouit aux VIIIe-IXe siècles dans l’actuel Vietnam, une importance politique particulière. Il semblerait, selon une étude récente (1), que l’offrande d’un kosa de métal précieux, décoré d’une ou plusieurs têtes, décuplait la puissance du linga à protéger les intérêts territoriaux de l’État champa, et donc ceux du souverain, qui, selon certaines inscriptions, s’identifiait à Shiva. C’est dire l’importance symbolique de ces pièces représentant un aspect spécifique de la culture vietnamienne ; on connaît une dizaine de têtes à ce jour, dont une seule rattachée à son linga-kosa, acquise par le Musée Guimet en 2001 (2). Exécutée, comme la plupart des plus précieuses pièces de ce type, dans un or fortement allié d’argent (40 %) et d’une pointe de cuivre (1 %), celle-ci témoigne, tout d’abord, d’une remarquable qualité dans l’exécution ; ainsi les analyses menées avant l’acquisition par le Laboratoire des Musées de France soulignent-elles « la qualité technique du travail mis en forme au repoussé sans aucune pièce de fonderie, la soudure par l’apport d’un métal apparemment très proche du métal constitutif et les finitions remarquables par ciselure ».
À la différence des autres pièces connues, d’un « expressionnisme » affirmant la puissance du dieu, cette œuvre traduit avec subtilité la complexité de sa nature. Si sourcils et moustaches torsadés, narines fortes et fossette proéminente du menton traduisent sa masculinité, le modelé sensible apparaît empreint d’une douceur féminine, accentuée par l’émanation lumineuse du symbolique alliage des métaux ; l’or, qui traduit en effet dans la plupart des cultures la substance du divin, est ici assourdi par l’argent.
Charnel autant qu’immatériel, Shiva, détenteur de la Vérité, sourit à l’ignorance du spectateur. Son rayonnement intérieur évoque l’irradiance du principe divin universel dans l’amour duquel le dévot cherche à se fondre.
(1) John Guy « The Kosa Masks of Champa – new evidence » in Southeast Asian Archeology, 1998, p. 51-60.
(2) Pierre Baptiste, Arts asiatiques, Annales du Musée national des Arts asiatiques-Guimet, tome 56, 2001, p. 112-113.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Marie-Pierre Foissy, Musée des arts asiatiques de Nice
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Marie-Pierre Foissy, Musée des arts asiatiques de Nice