Dans « Les Archives du monde », la spécialiste d’histoire culturelle analyse la politique de confiscation par la France des archives des territoires conquis à l’époque révolutionnaire et sous l’Empire.
Le pillage d’archives était-il habituel en Europe avant la Révolution française ?
Oui, depuis le Moyen Âge. Les archives étaient un élément crucial de la souveraineté, notamment dans le cas des républiques, qui leur accordaient une importance particulière. Dans les guerres entre villes italiennes, par exemple, il y avait souvent pillage et destruction d’archives. On emportait des chartes particulièrement importantes, des documents fiscaux : ce qui a une fonction légale et politique ou une utilité pratique. Les archives servaient à vérifier la filiation, les droits de succession, la citoyenneté, l’appartenance à la noblesse civique, les privilèges, les actes de soumission, les statuts : ce sont des documents très importants symboliquement et légalement.
Les confiscations étaient, au début, le fruit des circonstances, notamment à Vienne et à Rome où elles sont créées dans un but pratique. À Vienne, il s’agissait de prendre possession des archives du Saint Empire romain germanique. Celui-ci n’existait plus, mais Napoléon était le protecteur de la Confédération du Rhin [l’alliance d’États allemands constituée par Napoléon après sa victoire à Austerlitz, NDLR] et les archives avaient une valeur symbolique pour celle-ci, ainsi qu’un intérêt pratique car il fallait régler nombre de questions relatives à la noblesse des États de la Confédération. À Rome, il s’agissait de disposer des archives concernant la gestion du clergé et des affaires ecclésiastiques. En lutte avec la papauté, Napoléon voulait transférer le siège apostolique d’abord à Reims puis à Paris. Prendre les archives était à la fois un moyen de pression et un signe de bonne volonté envers le pape : s’il acceptait de garder ses fonctions sous la tutelle de l’Empire, il disposerait, en France où il devrait s’installer, des documents nécessaires. À partir de ces deux opérations, un véritable plan de confiscation se met en place. Bien sûr, on saisit des documents fiscaux et des correspondances politiques, ce qui sert à la guerre et à l’administration. Mais, de plus en plus, on confisque les archives historiques les plus anciennes. On réquisitionne également les preuves de noblesse parce qu’il s’agit de compléter, aux Archives nationales, les séries concernant la noblesse française : on le fait par symétrie, pour créer des ensembles cohérents. C’est aussi un moyen de pression, parce que cela va obliger les familles de tout l’Empire à demander à Paris les extraits dont elles ont besoin. On veut aussi compléter des séries assez classiques, par exemple les correspondances diplomatiques qui formaient déjà le cœur des archives d’État.
Daunou, un ancien prêtre oratorien défroqué, est un gallican, un érudit, un savant, un philosophe. Il est à la fois unique et typique d’un certain milieu républicain de l’époque directoriale. Très rapidement, il entre en conflit avec Bonaparte Premier consul et, comme beaucoup d’hommes de sa génération et de républicains, il est mis à la marge. Il devient bibliothécaire du corps législatif et, en tant que tel, il est nommé garde des Archives. Et c’est lui qui réussit à transformer une opération née de circonstances militaires en un véritable programme de confiscation d’archives. De ce point de vue, il a le même rôle moteur que Vivant Denon, la même optique encyclopédique et la même ambition de faire de Paris la capitale des Muses. Mais, pour différentes raisons, il n’a pas la même force de négociation et la même latitude d’action. Vivant Denon a une culture nobiliaire, il connaît très bien l’Italie et a une expertise diplomatique beaucoup plus fine. Mais la véritable différence consiste dans leur position institutionnelle. Vivant Denon est l’agent de Napoléon et il s’intéresse à des biens pour lesquels il n’y a pas de véritable enjeu légal, tandis que Daunou est un employé du ministère de l’Intérieur et les archives posent énormément de problèmes légaux quant à leur propriété.
Le transport n’a pas entraîné de destructions. Il existe un discours récurrent selon lequel ces confiscations auraient déterminé la perte d’archives. Or, ces pertes, bien sûr regrettables, sont marginales. Les opérations ont été soignées et la dépense pour cela a d’ailleurs été importante. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de destructions d’archives pendant la période révolutionnaire et impériale, bien au contraire.
Comme les Français tardaient dans la restitution, les puissances alliées ont changé d’attitude après la défaite définitive de Napoléon et se sont présentées avec des baïonnettes pour récupérer les œuvres d’art et les archives. L’Autriche est rentrée alors en possession de ses documents. Mais certains États n’existaient plus, comme la République de Gênes par exemple, ou bien il a fallu beaucoup de temps en raison de la complexité des archives et du coût du transport : c’est le cas pour Rome. La France a tant traîné pour l’Espagne que beaucoup d’archives n’ont été rendues que sous le gouvernement de Vichy. Enfin, il existe quelques pièces restées en France par erreur.
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Maria Pia Donato : « Les archives étaient un élément crucial de la souveraineté »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Maria Pia Donato : « Les archives étaient un élément crucial de la souveraineté »