À la tête depuis un an de Resource, Conseil des musées, des archives et des bibliothèques de Grande-Bretagne, Lord Matthew Evans dresse un premier bilan de son action. Pour aider les musées régionaux à sortir de la crise, il juge le « deaccessioning », c’est-à-dire la cession d’œuvres leur appartenant, « inévitable ». La réflexion sur ce sujet n’épargne pas la France, où, l’année dernière, une commission parlementaire menée par Alfred Recours (PS) l’avait abordé dans son rapport sur les musées (lire le JdA n° 101, 17 mars 2000). Elle proposait de lever le « tabou de l’inaliénabilité », en prévoyant un délai de vingt à trente ans pour faire valoir ce principe sur les œuvres contemporaines. Cette fausse bonne idée n’a pas été retenue par le gouvernement dans son projet de loi.
LONDRES (de notre correspondant) - L’année dernière, la commission des musées et des galeries, et la commission pour les bibliothèques et l’information ont fusionné en Grande-Bretagne pour donner naissance à un organisme unique, nommé Resource. Lors du discours de baptême, Lord Matthew Evans a multiplié les attaques contre les musées accusés, en vrac, de manquer de perspectives, de négliger leurs responsabilités pédagogiques, de privilégier la conservation aux dépens de l’accès aux œuvres, de fonctionner selon des “codes professionnels surannés”. Quant aux musées nationaux, ils se comportaient, selon lui, comme les “cités-États de la Renaissance”. Depuis lors, Resource a gardé un profil bas, et il lui est reproché d’éluder les grands problèmes du moment, comme l’entrée gratuite des musées nationaux et la situation critique des musées régionaux. Pour répondre aux accusations d’inaction, Lord Evans nous a expliqué les activités de Resource pendant sa première année d’existence. Il se penche sur la question très controversée du “deaccessioning”, la cession d’œuvres appartenant à des musées, et s’est intéressé aux défis que doivent relever les musées régionaux.
On reproche à Resource d’être trop proche du gouvernement et de manquer de marge de manœuvre.
Lorsque l’on traite avec les ministères, si l’on veut obtenir quelque chose, il faut travailler avec eux de manière constructive. Nous serons jugés plus tard sur nos réalisations. Pour les musées, quel est le changement majeur entre l’ancienne commission et Resource ? Les musées nationaux étaient à part et ne travaillaient pas vraiment en harmonie avec elle. C’était un vrai problème. Autre distinction : à la différence des bibliothèques, les musées négligent les statistiques. Nous allons essayer d’y remédier, car si les chiffres peuvent sembler fastidieux, ils sont essentiels lorsque vous demandez davantage d’argent à l’État.
Qu’est-ce qui a été accompli par Resource au cours de cette première année ?
La plus grande réalisation aura été de créer et de lancer Resource. On pourrait trouver que ce n’est pas très ambitieux, mais nous avons tous sous-estimé les différences de culture entre les musées, les bibliothèques et les archives. Aujourd’hui, une occasion de coopérer s’ouvre à eux.
Au cours de l’année écoulée, avez-vous changé d’avis sur le “deaccessioning”, la cession d’œuvres appartenant aux musées ?
Non, pas du tout. En fait, je suis de plus en plus convaincu que c’est inévitable.
Mais est-ce vraiment un problème grave si les musées conservent la majeure partie de leur collection dans leurs réserves ?
Le problème n’est peut-être pas grave, mais il doit être pris en compte. En visitant les musées régionaux, j’ai découvert une salle préraphaélite où seuls trois murs sur quatre servaient de cimaises aux tableaux, en raison d’une infiltration d’eau dans le quatrième. Si les musées n’ont pas assez d’argent pour préserver les œuvres qu’ils exposent, imaginez quelles doivent être les conditions de conservation dans les réserves. Je suis très inquiet. Si l’on ne fait rien, de nombreux biens culturels vont se dégrader. L’une des solutions serait d’ouvrir les réserves, que les musées trouvent des entrepôts, qu’ils y installent des cimaises et qu’ils les ouvrent au public. Au moins, on pourra se rendre compte des problèmes de conservation et prendre les décisions rationnelles qui s’imposent concernant la cession des œuvres.
Dans quel cas faut-il envisager de se défaire de certaines œuvres ?
C’est aux musées d’opérer des choix. Ils devraient former des comités avec des conservateurs, des administrateurs et des financiers, et décider de ce qu’il faut céder ou garder. Certaines décisions seront faciles à prendre, d’autres beaucoup plus compliquées.
Comment procéder ?
Je serai intraitable sur un point : l’argent devra retourner intégralement au musée et ne devra pas être récupéré par l’autorité locale. Chaque musée devra décider comment il souhaite dépenser cet argent. S’il a une collection magnifique et un bâtiment qui tombe en ruine, alors l’argent permettra de restaurer le bâtiment. Et dans le cas contraire, il devra servir à la conservation de la collection.
L’“accessibilité” est l’un des principaux problèmes mis en exergue par Resource. Les musées en font-ils assez ?
L’accessibilité est une question très importante, mais c’est en train de devenir une sorte de litanie. Les musées que j’ai visités font preuve de bonne volonté. L’un des problèmes annexes est que parfois, dans certains lieux que j’ai pu visiter, l’accessibilité devient un enjeu tellement central que, de mon point de vue, le lieu en question cesse d’être un musée. J’ai l’impression qu’ils ressemblent plus à des “centres de loisirs” qu’à des musées.
L’opposition conservatrice britannique soutient le gouvernement travailliste dans son intention de supprimer l’acquittement de la TVA pour les musées. Cette décision va permettre l’entrée gratuite de tous les musées nationaux de Grande-Bretagne. Dans le budget présenté le 7 mars, le ministre des Finances, Gordon Brown, avait annoncé que les musées pourraient récupérer la TVA, invalidant ainsi une clause spéciale selon laquelle seuls les musées payants y étaient autorisés. Michael Portillo, porte-parole des tories pour les Finances, a exprimé son soutien dans une lettre datée du 19 mars. Celle-ci a été envoyée à Sir Denis Mahon. L’historien de l’art se bat en effet depuis des années pour la gratuité, et il avait fait don de sa collection de peinture baroque italienne à plusieurs musées, dont la National Gallery de Londres, à la condition expresse que l’accès y soit gratuit. Lors du débat précédant la deuxième lecture du projet de loi de finances, à la Chambre des communes, le 9 avril, la clause 96 intitulée “TVA : récupération par les musées et galeries nationaux�? n’a soulevé aucune protestation chez les conservateurs. D’ores et déjà, Mark Jones, directeur du Victoria & Albert Museum à Londres, a annoncé que l’entrée y deviendrait gratuite le 22 novembre prochain, lors de la réouverture des Galeries britanniques.
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Lord Evans - Faut-il vendre pour vivre ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Lord Evans - Faut-il vendre pour vivre ?