Le Musée hongrois de la photographie se bat pour restaurer et enrichir son incroyable collection tout en organisant une dizaine d’expositions par an.
KECSKEMÉT, BUDAPEST (Hongrie) - Situé dans la petite ville de Kecskemét (110 000 habitants), à moins d’une centaine de kilomètres de Budapest, le Musée hongrois de la photographie a ouvert ses portes en novembre 1989, juste après la chute du régime soviétique. Il a élu demeure dans un édifice XVIIIe cédé par la municipalité, un lieu marqué par son histoire. Ancienne salle de bal, il fut transformé en abattoirs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après avoir abrité une synagogue dans les années 1920 et 1930 – le lieu de prière dut fermer ses portes, 70 personnes seulement, sur les 7 000 âmes que comptait la communauté juive de la ville, ayant réchappé à Auschwitz. En souvenir de la tragédie, les murs du musée arborent d’ailleurs les symboles et décorations d’une synagogue traditionnelle.
En 1989, la collection du musée comprenait déjà 70 000 photographies, planches-contact, documents et appareils en tout genre, rassemblés dans la plus grande discrétion par une association d’artistes photographes pendant les années sombres. Certains de ces vestiges revêtent un caractère exceptionnel, comme l’un des premiers daguerréotypes, conçu en 1840, ou cet appareil début de siècle qui servit à photographier Lénine en 1918 sur la place de Moscou. C’est après avoir lancé un appel à la télévision, en 1989, que le directeur du musée a finalement reçu la proposition de Kecskemét ! Aujourd’hui, l’institution, seul musée de Hongrie consacré à la photographie, abriterait plus d’un million de documents, dont l’inventaire et le classement sont en cours – 100 000 d’entre eux sont déjà consultables sur Internet. Parmi cet ensemble pour le moins hétéroclite figurent environ 6 000 clichés de figures telles que Robert Capa et Brassaï, de leurs vrais noms respectivement « Endre Ernö Friedman » et « Gyula Halász », ou encore André Kertész. Pour certains artistes, comme le peintre Rozsda, la collection ne compte pas moins de 20 000 clichés ! L’ensemble est entassé dans les petits espaces de l’immeuble. « Nous essayons de préserver au mieux, avec les moyens du bord, les photographies, en optimisant au maximum les conditions de conservation », explique le directeur du musée, Kincses Károly. L’établissement met aussi à l’honneur les photographes contemporains, tels Féner Tamás, Korniss Péter, Kerekes Gábor, et des artistes étrangers ayant travaillé en Hongrie : Erich Lessing, Mario de Biasi ou Cartier-Bresson. Très actif, il organise une dizaine d’expositions par an, toutes époques confondues, tandis qu’une infime partie de sa collection est exposée dans le grand hall par roulement, tous les six mois. Contrairement à d’autres institutions hongroises, le musée fonctionne de manière totalement autonome, ne recevant aucune aide de l’État. « Tous les mois, je me débrouille pour trouver des subventions, des aides privées, je collecte là où je peux… Le plus important c’est d’être libre », défend pourtant son directeur. Faire vivre le musée relève d’une véritable gageure quand on sait qu’il emploie une vingtaine de personnes, en comptant la galerie d’exposition qu’il a ouverte en 1995 à Budapest.
Un passé glorieux
Installée dans le sixième arrondissement de la capitale hongroise, la galerie a été baptisée « Maison Mai Manó », en hommage au photographe qui la fit bâtir. Avec cet atelier, Mai Manó (1855-1917), spécialisé dans les portraits de la famille impériale, voulait assurer le prestige de la photographie hongroise. En témoignent les ornements des façades, avec leurs putti en faïence jaune tenant des appareils sous le bras, ou les six muses imaginaires de la photographie peintes sous les balcons du 3e étage. Tout comme le musée auquel elle est rattachée, la maison représente diverses tendances artistiques, organisant des expositions tant historiques que contemporaines, tant hongroises qu’internationales. Elle s’est intéressée aussi bien à l’avant-garde tchèque qu’aux photos d’Émile Zola, exposant les œuvres expérimentales viennoises comme les clichés plus classiques de l’après-guerre. L’immeuble abrite également une bibliothèque et une librairie où il est possible d’acheter des épreuves originales.
Rappelant le glorieux passé de la photographie, la conservatrice de la galerie, Gabriella Csizek, dénonce le manque de moyens et le peu d’intérêt que suscite cet art auprès des autorités hongroises. Dès l’émergence du médium en effet, les photographes hongrois se sont montrés très actifs, et furent régulièrement distingués pour leur créativité lors des Expositions universelles de Paris. Au début du XXe siècle, Budapest abritait plus de 300 ateliers de photographes, sans compter nombre de clubs d’amateurs. L’État hongrois semble aujourd’hui peu sensible à la richesse de ce patrimoine. « Nous ne sommes malheureusement pas toujours pris au sérieux, déplore Gabriella Csizek. Comment expliquez-vous qu’il n’existe aucune rue portant le nom d’un photographe hongrois ? » Quant au mécénat, il est exclusivement réservé à des manifestations temporaires. « L’entretien de la galerie au quotidien n’intéresse guère les sponsors, ajoute la conservatrice. Les grands noms de la photographie, comme Brassaï, sont plus célèbres à l’étranger que chez nous. » Plusieurs, tels Kertész, Mari Mahr, Gustav Seinen, Béla Kálmán ou Lucien Aiguer, ont fait carrière en dehors des frontières hongroises… Mais Gabriella Csizek regrette également qu’à l’étranger l’on ne s’intéresse pas davantage à la jeune création : « Pour les expositions internationales, on nous demande surtout des clichés à caractère politique, plutôt qu’artistique, afin d’illustrer les années soviétiques ou les périodes de conflits. De manière générale, la photographie a du mal à se libérer des années de propagande, que ce soit ici ou ailleurs… » Si ceux qu’on appelle « la génération morte » – les 50/60 ans ayant vécu de plein fouet le régime soviétique – restent pessimistes, la jeune génération d’artistes, elle, n’hésite pas à voyager. Mais, souligne Gabriella Csizek, « ils reviennent toujours... Leur âme est ici ! »
L’hiver 2003, le Palais des expositions de Budapest a accueilli « Monet et ses amis », un ensemble d’œuvres prêtées par les plus grands musées français. Devant le succès de la manifestation, les visiteurs patientant dehors des heures durant malgré des températures en dessous de 0 °C, le Musée renouvelle aujourd’hui l’expérience. « Ombres et lumières – quatre siècles de peinture française, 1600-2000 » réunit des artistes tels Georges de La Tour, Le Nain, Poussin, Le Lorrain, Watteau, Fragonard, Greuze, David, Delacroix, Géricault, Cézanne, Courbet, Van Gogh, Picasso ou… Boltanski. Plus de 120 œuvres prêtées par les musées du Louvre, d’Orsay, le Musée national d’art moderne, les musées de beaux-arts de Dijon, Lille, Lyon ou Rouen offrent un panorama de l’histoire de l’art dans l’Hexagone. Mais l’aventure franco-hongroise ne s’arrête pas là. Au printemps 2005, pour inaugurer ses nouveaux locaux, le Musée d’art moderne de Budapest devrait accueillir une centaine d’œuvres du Centre Pompidou (signées Arman, Louise Bourgeois, Annette Messager ou Claude Viallat), tandis qu’à l’automne, la Galerie nationale hongroise, installée dans le château de la cité, organisera une manifestation intitulée « Matisse et les fauves hongrois ». Aux côtés de Matisse, Derain et Vlaminck devraient figurer des artistes comme Géza Bornemisza, Valéria Dénes ou Lajos Tihanyi. - « Ombre et lumières », jusqu’au 27 février, Mücsarnok, Palais des expositions, place des Héros, Hösök ter 1, Budapest, tél. 36 1 343 74 01, tlj sauf lundi 10h-18h. Pour tout renseignement : Institut français de Budapest, Fö utca 17, 1011 Budapest, tél. 36 1 489 42 12, www.inst-France.hu.
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Abonnez-vous dès 1 €- Musée de la photographie, katona józsef tér 12, Kecskemét, Pf. 446, tél. 36 76 483 221 ou 508 258, www.fotomuzeum.hu, tlj lundi et mardi, 10h-17h. - Maison des photographes hongrois (Maison Mai Manó), Nagymezö utca 20, Budapest, tél. 36 1 473 2666, www.mai mano.hu, tlj 14h-19h et 11h-19h le week-end et jours fériés. A lire : Budapest, éd. Gallimard, coll. « Guides Gallimard » (avec un chapitre sur la photo), 276 p., 26 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Les instantanés de Budapest