Près de soixante-dix ans après les bombardements, les cathédrales de Reims et de Nevers inaugurent de nouveaux vitraux.
REIMS, NEVERS - « Qui a peur du rouge, du jaune et du bleu ? », demandait Barnett Newman dans le titre d’un tableau de 1967. « Ich nicht » (« pas moi »), réplique le peintre allemand Imi Knoebel lors de son exposition au Deutsche-Guggenheim Museum à Berlin en 2009, comprenant que l’artiste américain ne parlait pas seulement de l’usage des couleurs primaires en peinture, dans une recherche de l’épure voulue par la théorie de l’art pour l’art. Il s’agissait bien, comme chez les pères de l’abstraction dont Knoebel se pose en héritier, de la spiritualité de la couleur.
Croyant, Knoebel ne l’est pas, tout comme la plupart des artistes qui ont réalisé des vitraux et du mobilier liturgique en France depuis les années 1950. Mais ce qui a été longtemps vécu par l’Eglise comme un non-sens est aujourd’hui largement accepté par ses représentants. Fervents promoteurs de la création dès les années 1930, les deux pères dominicains Régamey et Couturier déclaraient qu’« il est plus sûr de s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent », comme le rappelle Jean de Loisy dans l’ouvrage de référence accompagnant l’inauguration des vitraux de la cathédrale de Nevers (1). L’évêché de Reims aurait lui-même formulé le souhait d’accueillir des vitraux qui ne diffusent aucun message liturgique, contredisant leur vocation première.
La fragmentation
À Reims (Marne), le peintre a relevé le défi de l’intégration de vitraux contemporains dans la cathédrale gothique qui a vu le sacre des rois de France, puis fut le triste emblème des saccages de la Seconde Guerre mondiale, avant de composer avec le voisinage des vitraux de Chagall achevés en 1974. Le 25 juin étaient dévoilées, dans les chapelles latérales du chœur, deux compositions abstraites aux couleurs flamboyantes mimant la superposition de papiers découpés bleus, rouges, jaunes et blancs. Les couleurs semblent inspirées des vitraux de la façade ouest, aux teintes vives dominées par le bleu. Knoebel souhaitait en donner une « traduction » dans « un nouveau langage abstrait ». L’abstraction, qui domine le vitrail de l’après-guerre, conviendrait à l’évolution des pratiques religieuses, qui substituent à l’édification par l’image narrative l’expérience purement sensible, subjective et individuelle ; l’interprétation de Knoebel en fournit le meilleur exemple. Aussi le retrait de l’expression (que le vitrail accentue par la mise à distance de la gestualité picturale) permet-il l’ouverture du sens, la large disponibilité de l’image, « qui rend possible un grand art monumental aujourd’hui », affirme encore de Loisy en se référant au vitrail de Gerhard Richter à Cologne, dont la composition de « pixels » est déléguée au hasard. Olivier Kaeppelin (ancien délégué aux Arts plastiques) pointait quant à lui à Reims la pertinence symbolique de la fragmentation chez Knoebel : « Le fragment fonde la vision moderne de l’être. » Il inspire aussi le thème contemporain de la multitude, tout en évoquant le souvenir des débris de la guerre, dernier grand évènement dans l’histoire de l’édifice dont on célèbre les 800 ans. Le signe fort lancé en faveur de l’amitié franco-allemande ne passe pas inaperçu.
« Audace figurative »
Dans la cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Juliette de Nevers (Nièvre), où les artistes qui ont signé les fameux 1 052 mètres carrés de vitraux étaient réunis pour la cérémonie d’inauguration du 29 avril, ce sont encore les dommages laissés par les bombardements de 1944 qui ont fait entrer l’art contemporain dans l’église. Le plus grand ensemble de vitraux contemporain en Europe est aussi le meilleur témoignage de l’histoire de son apparition dans les édifices religieux en France. Entamée en 1960, la campagne de création de nouveaux vitraux pour la cathédrale n’aboutit qu’en 1985, avec la pose du premier oculus dessiné par Raoul Ubac. La situation se débloque avec la création de la commande publique en 1983, qui permet à l’État de soutenir les projets d’art public par un financement spécifique. De 1990 à 2008, la cathédrale de Nevers se pare des vitraux de Jean-Michel Alberola, François Rouan, Claude Viallat, Gottfried Honegger, pour un budget total de 7,1 millions d’euros. Des vitraux historiés d’Alberola, les plus récents, dans le chœur gothique, l’évêque Francis Deniau salue « l’audace figurative » et « le travail de réinterprétation » des textes. Ce parti pris contraste cependant avec les vitraux abstraits de Nevers, tout comme le minimalisme bicolore de Hoenegger tranche avec la profusion maniériste de Viallat : s’ils illustrent la diversité et la richesse des possibilités du médium, ils donnent aussi la vague impression d’avoir transformé l’église en musée. L’historienne Christelle Langrené note très justement dans l’ouvrage dédié que l’intérêt des commanditaires doit être perçu au-delà des enjeux patrimoniaux, au regard de la fréquentation des édifices concernés. Presque désertés par le culte, ils sont envahis par un nouveau « public », les touristes, dont les vitraux signés de grands artistes contemporains motivent l’escale dans la région.
(1) L’Affaire des 1 052 m2, éd. Les Presses du réel, Dijon, 2011.
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Le verre de la réconciliation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Le verre de la réconciliation