Le restaurant triplement étoilé « ElBulli » transformé en musée

Roses, Espagne. Longtemps considéré comme l’un des meilleurs restaurants au monde, ElBulli accueillait sa clientèle sur le littoral de la Cala Montjoi, à Roses, commune située au cœur du parc naturel du cap de Creus, en Catalogne. Le site, d’une surface de 4 000 mètres carrés répartis entre espaces intérieurs et extérieurs, est désormais le musée « ElBulli1846 », ainsi dénommé en référence au nombre de créations culinaires confectionnées par les divers chefs du restaurant dans un style dit « Bulliniano ».

Avec une ouverture prévue chaque année pour la saison estivale de juin à septembre, le musée fait découvrir des archives inédites sur la révolution culinaire menée par le chef Ferran Adrià pendant près de vingt-cinq ans. Le projet a été mené sous l’égide de la fondation privée ElBullifoundation, créée en 2011 par les chefs Ferran Adrià et Juli Soler, afin de protéger l’héritage culturel du restaurant ElBulli.

Dans l’enceinte de l’ancien restaurant gastronomique, l’histoire d’ElBulli est racontée en photographies et en vidéos, rendant notamment hommage aux fondateurs des lieux. Ouvert en 1964 par le docteur Hans Schilling et son épouse Marketta, ElBulli doit son nom aux bouledogues de cette dernière. Quelques années après son ouverture, le restaurant obtient, en 1976, sa première étoile Michelin, sous les commandes du chef français Jean-Louis Neichel. L’aspect d’origine de l’établissement est préservé ; la décoration des salles a été conservée, agrémentée de reconstitutions de tablées et de plats ayant fait la renommée du restaurant, à déguster cette fois avec les yeux.

Le chef Ferran Adrià a rejoint l’aventure en 1984. Sous sa direction, ElBulli obtient sa deuxième étoile en 1990 et sa troisième en 1997, salué pour son usage intensif et novateur de la gastronomie moléculaire. Le musée retrace l’engouement international suscité par la cuisine du chef, qui a fait la « une » de nombreux journaux, ses techniques étant reprises dans plusieurs restaurants à travers le monde.

En 2009, alors qu’il goûte comme chaque semaine les recherches culinaires destinées à constituer le nouveau menu composé de trente-trois plats, le chef comprend que le restaurant, malgré son immense succès, a atteint ses limites. « Le moment était venu de changer de perspective en contribuant à la gastronomie d’une autre façon », explique le directeur d’ElBullifoundation, Lluís Garcia.

Dans l’espace extérieur d’ElBulli1846, point de vue idéal donnant sur la petite crique, des sculptures ont été installées. Elles invitent le visiteur à une réflexion sur la cuisine en tant que langage. Des panneaux pédagogiques l’aident aussi à appréhender la recette comme un système, à travers des questions aussi générales que : « qu’est-ce que cuisiner ? » ou « qu’est-ce qu’une boisson ? ». Parmi les installations notables est présentée une fresque de dessins réalisés par Ferran Adrià sur le thème de l’apparition de la cuisine, des feuilles exposées au Drawing Center Museum de New York en 2014.

Très dense en informations, le parcours déployé en intérieur explique comment la systématisation de l’innovation a été appliquée à la cuisine d’ElBulli et comment les chefs ont poursuivi dans le temps une exploration des limites de l’expérience gastronomique, de la cuisson jusqu’à la dégustation par le convive. Le visiteur découvre notamment comment le restaurant, sous la direction de Ferran Adrià, a révolutionné la gastronomie moléculaire, discipline scientifique qui explore les transformations culinaires, à l’aide de précieuses archives vidéo, d’innombrables notes, cartes mentales et autres croquis.

Le parcours s’achève sur le LAB ElBulliFoundation, qui présente les projets menés par la fondation depuis son ouverture. Le savoir culinaire du restaurant ElBulli est diffusé avec la méthode Sapiens, qui a permis la création de l’importante collection de livres « Bullipedia », l’encyclopédie sur l’histoire de la gastronomie occidentale. « L’objectif de la fondation est de partager nos expériences et innovations avec les petites et moyennes entreprises, et de générer des contenus de qualité pour le secteur de la gastronomie, en organisant des conférences, en publiant des livres comme ceux de la “Bullipédia” », explique Lluís Garcia au Journal des Arts.

La transformation d’un restaurant mythique en musée consacré à la gastronomie est une première mondiale, qui promet d’attirer les curieux. « L’ouverture est assez tranquille, nous recevons environ 120 personnes par jour, mais nous observons des pics de 400 personnes certains samedis. Nous n’avons aucune idée du nombre de visiteurs attendus, nous le découvrirons à la fin du premier été », indique le directeur de la fondation.

Si le musée veut inspirer les professionnels du secteur, il se destine plus largement à tous les amateurs de gastronomie. « Par le prisme de la cuisine, le musée s’adresse à tous types de publics souhaitant mener une réflexion sur sa relation à la connaissance et à l’innovation », précise Lluís Garcia.