Boulogne-Billancourt, haut lieu de la modernité dans l’entre-deux-guerres, vient d’ouvrir son Musée des Années trente. Voulu par ses concepteurs comme un "musée de site", cet établissement fait néanmoins la part belle aux beaux-arts, et notamment à la peinture et à la sculpture figuratives officielles. Si cette production mérite d’être redécouverte pour son caractère représentatif d’une époque et ses quelques réelles réussites, la faible présence du design, de l’architecture et des pièces documentaires semble quelque peu en contradiction avec le propos historique annoncé.
BOULOGNE-BILLANCOURT - “L’avant-garde n’est pas l’histoire”, revendique Emmanuel Bréon, conservateur du Musée des Années trente. Pourquoi ignorer la production officielle de cette période, alors que tant d’établissements en France, et surtout à Paris, célèbrent déjà le Surréalisme, l’Abstraction et le Post-cubisme ?
Dans cette perspective, les concepteurs du nouveau musée de Boulogne-Billancourt ont décidé de réunir des collections représentatives de l’époque en s’appuyant sur le riche passé de la ville, à la manière d’un musée de site. Dans ce fief des industries aéronautiques, automobiles ou cinématographiques, les architectes Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens et Raymond Fischer ont élevé des bâtiments, décorés par Jacques-Émile Ruhlmann ou Jules et André Leleu ; de nombreux sculpteurs, tel Jacques Lipchitz, y ont travaillé ; et Daniel-Henry Kahnweiler, le célèbre marchand des cubistes, recevait à son domicile artistes et écrivains de la Modernité.
Depuis 1983, Emmanuel Bréon et Michèle Lefrançois ont soigneusement recensé ce patrimoine local, organisant une série d’expositions et cherchant dans l’annuaire les familles d’artistes installés à Boulogne-Billancourt pour négocier dons et dépôts. “Les acquisitions ne concernent que 10 % de nos collections, principalement du mobilier, explique Emmanuel Bréon. Nous avons reçu des fonds entiers de sculptures, offerts par les descendants des artistes, et beaucoup de tableaux nous ont été affectés dans le cadre du redéploiement des collections nationales”. Grâce à cela, le musée a pu réunir en quinze ans quelque 800 peintures et 1 500 sculptures, avec un budget d’acquisition de 700 000 francs, créé en 1987 seulement.
Une perspective orientée
Les œuvres d’esthétique néoclassique occupent la majeure partie des 1 500 m2 du musée, quelque peu égaré au sein du vaste bâtiment conçu par Yovan Josic dans le style des années trente, puis réaménagé de façon plus fonctionnelle par Jean-François Bodin, pour un coût total de 260 millions de francs.
Au rez-de-chaussée, le visiteur est accueilli par les sculptures monumentales de Joseph Bernard, de Paul Landowski et des frères Martel. On retrouve ensuite plusieurs plâtres et bronzes de Robert Wlérick, Léon Drivier ou Oscar Miestchaninoff au deuxième étage, consacré à l’art figuratif des années trente.
Cette section comporte essentiellement des portraits mondains – comme ceux de Bernard Boutet de Monvel, Tamara de Lempicka ou Alexandre Zinoviev –, des baigneuses et de grandes peintures allégoriques exaltant les “valeurs éternelles” à travers leurs formes sculpturales et primitives, telles La Terre de Jean Souverbie et la Vénus anadyomène de Georges Sabbagh. En revanche, malgré quelques tableaux de Waroquier ou Robert Humblot, le versant expressionniste et politique de la figuration reste sous-représenté.
Or ce manque de mise en perspective se retrouve à plusieurs reprises. Si les salles Kahnweiler permettent d’évoquer les esthétiques cubistes et surréalistes, autour de Juan Gris, Picasso, Marc Orlan et Gargallo, le visiteur n’est guère guidé dans son appréhension des grands débats qui secouent la décennie. L’importante section d’art colonial ne signale pas l’appel au boycott par les surréalistes de l’Exposition coloniale de 1931. Et le cabinet des dessins – très riche grâce à ses tiroirs coulissants – expose de belles images de mode signées Lepape, auxquelles aucun document sur la crise ou la montée des fascismes ne vient nulle part apporter de contrepoids.
Il faut dire que le quatrième étage, originellement destiné à des présentations tournantes de maquettes d’architecture, de mobilier et de témoignages historiques divers – affiches, photographies, jouets, appareils ménagers... – a été en partie consacré, sur décision municipale, à des expositions temporaires. Espérons que cet espace pourra être réaffecté à ces modes d’expression particulièrement dynamiques durant la période envisagée, et qu’il permettra d’offrir une vision plus complète de ces années.
Musée des Années trente, Espace Landowski, 28 avenue André-Morizet, 92100 Boulogne-Billancourt, tél. 01 55 18 55 70, mer., sam. 10h-18h, mar. 12h-18h, jeu. 14h-20h, ven. 14h-18h, dim. 13h-18h.
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Le Musée des Années trente radieuses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Le Musée des Années trente radieuses