Après avoir analysé les actions des fondations suisses en matière de mécénat (L’Œil n°517), voici un rapide panorama des engagements des sociétés françaises pour l’art contemporain. De Renault, la plus ancienne en ce domaine, à la toute nouvelle Altadis, chacune a sa manière d’aider la création d’aujourd’hui.
Le mécénat en France progresse et se diversifie. » Employée par l’Admical (l’Association pour le Développement du Mécénat industriel et commercial) pour brosser le bilan du mécénat d’entreprise en 1996, cette formule ne manquait pas d’optimisme. Qu’en est-il quatre ans plus tard ? Si la situation est loin d’être idéale, force est d’observer que le mécénat en faveur des arts plastiques s’est développé petit à petit au cours de ces dernières années. Non seulement le nombre des acteurs s’est diversifié mais le mécénat s’est professionnalisé en opérant non plus au coup par coup, comme ce fut trop souvent le cas par le passé, mais sur le long terme, c’est-à-dire en s’institutionnalisant. De cette nouvelle situation, les exemples qui ont été ici retenus nous apparaissent exemplaires à plus d’un titre, surtout en ce qui concerne l’art contemporain. Leur choix, en aucune façon exhaustif, vise simplement à faire valoir tant la diversité des structures impliquées que celle de leurs modes d’actions ou du contenu mis en jeu. À l’analyse, il apparaît ainsi que l’on peut globalement distinguer entre quatre ou cinq formes d’actions récurrentes, menées selon le cas tantôt exclusivement, tantôt simultanément : la constitution d’une collection, la gestion d’un lieu d’exposition, l’aide à la réalisation d’un projet (généralement incluse dans l’une ou l’autre qui précède), la distribution de prix et l’édition d’une publication.
Des collections d’entreprises
En matière de collection, à tout seigneur, tout honneur ! Il revient à l’entreprise Renault d’être citée la première parce qu’elle a été pionnière en matière de mécénat artistique dès le milieu des années 60 en invitant un certain nombre d’artistes contemporains à créer des œuvres spécialement pour elle. Représentative de courants de la création des années 70-80, interrompue en 1985 pour des raisons économiques, la collection d’art de Renault est plus le résultat d’une politique de mécénat industriel originale que celui d’une pratique d’achats successifs et isolés quand bien même certains ont pu être faits dans l’optique de création d’une fondation. Avec plusieurs œuvres importantes, Arman, Dubuffet, Erró, Dominique Gauthier, Henri Michaux, Soto, Tinguely et Vasarely figurent parmi les artistes les mieux représentés de la collection. Souhaitons que celle-ci soit un jour accessible au public d’une autre façon que sous forme de livres, comme c’est le cas pour l’instant.
Il convient ensuite de mentionner la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Dès sa création en 1984 à l’initiative d’Alain-Dominique Perrin, celle-ci s’est donnée pour tâche de constituer une collection d’œuvres d’art qui soit à l’image de notre époque. Elle compte aujourd’hui un ensemble de tout premier plan, véritable anthologie de l’art contemporain des années 70 à nos jours, qui recouvre tous les domaines des arts plastiques, de la peinture à la vidéo en passant par la sculpture, le dessin, la photographie et l’installation. Acquisitions, commandes, aides à la production, la Fondation Cartier n’a jamais lésiné sur les moyens. Faite de grands ensembles autour de fortes personnalités aînées comme César, Arman, Hains, Raynaud, ou de figures plus jeunes comme Alberola, Blais, Marc Couturier, Pierrick Sorin, ou bien encore d’acteurs internationaux tels Barceló, Barney, Orozco, Sugimoto, Turrell, la collection de la Fondation Cartier n’est malheureusement pas exposée en permanence. Toutefois, certaines œuvres sont ici et là en dépôt dans certaines institutions. C’est ainsi que le grand Pot doré de Raynaud a été prêté au Centre Pompidou pour une période de dix ans et mis en place sur la piazza.
Au palmarès des institutions qui disposent d’une collection d’importance figure ensuite la Caisse des Dépôts et Consignations. L’action qu’elle a menée en ce domaine depuis bientôt une quinzaine d’années lui a permis de se constituer un fonds tout à fait remarquable, notamment sur le terrain de la photographie plasticienne, de la vidéo, de la sculpture et de l’installation. Au principe de simple acquisition, elle préfère ordinairement celui de commande ou d’aide à la production portant plus volontiers son attention aux jeunes artistes. Patrick Tosani, Ghada Amer, Claude Closky, Koen Theys, Markus Hansen, Pierre Huyghe, Laurent Saksik, Nathalie Elemento ont ainsi pu réaliser certains de leurs projets. Soucieuse de leur diffusion, la Caisse s’applique le plus souvent à mettre en dépôt ses œuvres dans des musées ou autres lieux apparentés.
À l’inventaire des fondations qui collectionnent, il y a encore celles dont la collection, si elle ne constitue pas une priorité, n’en est pas moins la résultante de l’activité qu’elles mènent en faveur des arts plastiques. Ainsi, par exemple, de la Fondation CCF pour la photographie qui se porte systématiquement acquéreur d’œuvres des lauréats de son prix ; idem de la Fondation Coprim dont le fonds est essentiellement fait de peintures ; ainsi de la SACEM qui acquiert chaque année depuis plus de vingt ans un certain nombre de peintures et d’œuvres sur papier ; de la Fondation Hewlett-Packard qui s’est constituée depuis quinze ans, à l’aide de ses correspondants locaux, une collection d’environ 250 œuvres toutes exposées sur ses différents sites ; idem de la Fondation NSM Vie, filiale assurances du groupe ABM Amro, qui s’est spécialisée dans la photographie contemporaine et a commandé une installation monumentale à Martin Parr lors de l’inauguration de son nouveau bâtiment de la rue de Courcelles ; même chose enfin pour la Fondation Colas qui sélectionne dix à quinze jeunes peintres tous les ans et leur commande une œuvre sur le thème de la route.
Des lieux d’exposition
Pour toutes ces institutions, aussi diverses soient-elles, le fait de constituer une collection n’entraîne pas forcément la possession d’un lieu d’exposition propre. Certaines s’en sont toutefois donné les moyens. Dès le milieu des années 80, par exemple, la Fondation Cartier s’est installée dans ses murs. À Jouy-en-Josas tout d’abord, à Paris ensuite, boulevard Raspail, dans un grand bâtiment tout vitré spécialement construit par Jean Nouvel (L’Œil n°461). Depuis lors, elle n’a eu de cesse de développer une politique systématique d’expositions, tant monographiques que thématiques. Les unes sont tantôt rétrospectives, tantôt axées sur un aspect donné de l’œuvre d’un artiste. Les autres sont conçues comme de vraies encyclopédies sur le sujet traité (« Comme un oiseau », « Être nature » ou « Le désert » jusqu’au 5 novembre) et mêlent volontiers tous les registres du savoir.
Depuis quelques années, la Caisse des Dépôts et Consignations dispose quant à elle d’un lieu très singulier, baptisé le « 13, quai Voltaire », et qui n’est autre que le hall voûté tout en longueur de cette adresse. Sa programmation, qui est très active en direction des jeunes artistes, se constitue tant de présentations d’œuvres photographiques que de réalisations spécifiques pour le lieu. Résolument tournée vers la jeune création elle aussi, la société Ricard a notamment choisi d’agir en ouvrant rue Royale, voici quelques années, un Espace Paul Ricard. Sa programmation y est attentive à tout ce qui émerge de nouveautés sur le terrain des arts plastiques comme en témoigne « Digital World », une exposition très technologies nouvelles de Miguel Chevalier (jusqu’au 6 octobre), ainsi que celle à venir, « Prodige » (17 octobre-24 novembre), conçue par Robert Fleck et réunissant les œuvres de 14 artistes de moins de 40 ans. L’Espace Paul Ricard, c’est encore tout un programme d’entretiens sur l’art animés par la critique d’art Catherine Francblin et des « Rendez-vous de l’Imaginaire » autour de Michel Maffesoli invitant le public à des débats de fond. Enfin, c’est là que se tient le Bal Jaune organisé pendant la FIAC, rassemblant tout le monde de la création pour une grande nuit festive. Quoiqu’elle ne soit pas exclusivement intéressée par l’art contemporain, la Fondation Électricité de France s’en fait parfois un ardent défenseur dans le contexte du lieu qu’elle s’est inventée. Situé impasse Récamier, dans le 6e arrondissement, l’Espace Electra est installé dans les locaux réaménagés d’une ancienne sous-station électrique. Des expositions monographiques (Télémaque, Julio Le Parc, James Turrell, entre autres) y alternent avec des sujets thématiques comme « Le jardinier, l’artiste et l’ingénieur » présenté jusqu’au 3 décembre. Créée en 1993, installée avenue Kléber, puis rue de Sévigné, la Fondation d’entreprise Coprim se veut un espace de découvertes dont la mission est d’établir des synergies entre les artistes, les institutionnels, les collectionneurs et le public. Pour ce faire, elle dispose d’un lieu propre et y propose chaque année un programme de six expositions : deux personnelles, deux thématiques, une réservée à la présentation des lauréats de son prix et une autre intitulée « Propos d’artistes : l’éveil artistique et ses enjeux » destinée au jeune public (« Propos d’artistes IV », jusqu’au 28 octobre). Di Rosa, Baj, Boisrond, Combas, Garouste, Ferrer, Pincemin, Velickovic y ont déjà exposé. À cette liste de lieux d’exposition, il faut encore mentionner celui de la Fondation Daniel et Florence Guerlain pour l’art contemporain, fondation privée en nom propre, qui a ouvert ses portes il y a quatre ans aux Mesnuls, près de Rambouillet. Dans un cadre très convivial, les Guerlain y développent un programme de trois à quatre expositions par an. Exclusivement thématiques, celles-ci ne présentent que les travaux d’artistes vivants mêlant les générations, les genres et les styles, tels que « Noir et blanc », « L’écrit, le mot, le texte », « Animal figuré » ou « Le corps morcelé » jusqu’au 18 décembre.
La distribution de prix
Si la distribution de prix reste encore l’un des fers de lance de l’activité du mécénat artistique, c’est qu’elle est assortie d’une aide financière qui importe pour de jeunes créateurs au début de leur carrière. Aussi les institutions sont-elles nombreuses à être attachées à cette forme d’action. En ce domaine, le plus classique des prix est celui que décerne depuis six ans la maison LVMH/Moët Hennessy-Louis Vuitton. Visant à mobiliser les jeunes autour d’un hommage aux maîtres de la peinture, le Prix LVMH des jeunes créateurs est réservé aux étudiants des écoles d’art. Partagé entre Français et Étrangers, il est décerné à six lauréats qui reçoivent chacun une bourse d’études de 28 000 F afin de pouvoir aller dans l’école d’art de leur choix pour parfaire leur formation. Dans le prolongement de l’exposition « Le fauvisme ou l’épreuve du feu », présentée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, le prix 2000 a couronné six jeunes « fauves » originaires de Paris, Montpellier, Arles, Saint-Pétersbourg, Gdansk et Vilna.
Pour son compte, la Fondation Coprim décerne chaque année un prix de peinture et un prix de sculpture à deux lauréats sélectionnés parmi huit artistes par un jury de personnalités du monde de l’art. Sur un autre mode, la société Ricard a décidé depuis l’an dernier de remettre un prix à l’un des artistes de l’exposition qu’elle organise dans la simultanéité de la FIAC. Désigné par un collectif de collectionneurs français et étrangers, l’élu reçoit la coquette somme de 60 000 F correspondant au montant de l’acquisition d’une œuvre. Didier Marcel, lauréat 1999, verra la sienne présentée au Centre Pompidou durant la FIAC. Depuis 1996, la Fondation CCF pour la photographie s’engage quant à elle dans la promotion et la valorisation de l’œuvre de deux photographes en désignant deux lauréats chaque année. Ceux-ci, qui doivent obligatoirement travailler sur des représentations du réel et n’avoir jamais eu de monographie, sont sélectionnés par le comité exécutif de la Fondation, éclairé dans ses choix par un conseiller artistique. Ils bénéficient de l’organisation d’expositions, de l’édition d’un ouvrage et de l’acquisition d’œuvres. Valérie Belin et Carole Fékété ont été les heureuses élues de l’an 2000. On retrouve également Valérie Belin dans la sélection des deux critiques d’art choisis par Altadis, la nouvelle société réunissant la Seita et Tabacalera. 30 artistes français et espagnols, plutôt peintres ou photographes, sont présentés le 6 octobre au Carré Seita. Six d’entre eux auront droit à une exposition à la galerie Durand-Dessert à Paris et chez Helga de Alvear à Madrid au printemps, à un catalogue publié chez Actes Sud et une œuvre achetée par Altadis. « Nous voulons encourager des artistes qui n’ont pas encore atteint la notoriété qu’ils méritent », précise Anne-Marie Lassalle, directeur-adjoint de la communication d’Altadis. Dans le même ordre d’idée, il faudrait encore signaler l’action de Chronopost dont le prix récompense six lauréats de moins de 35 ans qui ont réfléchi à une œuvre sur le thème du « Messager » ; celle de Giraudy qui, en relation avec une école d’art, décerne non seulement un prix à un étudiant tout juste sorti de ses rangs mais lui édite une affiche présentée sur les panneaux publicitaires déroulants de la ville où l’opération a lieu, comme ce fut le cas de Marie Niollet à Nancy ou de Zbigniew K. Adach à Paris cette année ; enfin celle de Gras-Savoye qui, en partenariat avec l’École des Beaux-Arts de Paris, couronne pareillement chaque année un étudiant nouvellement diplômé.
Et des publications...
Dans le contexte de leurs activités mécènes, la plupart de toutes ces institutions sont évidemment attentives à conserver une trace matérielle de leurs actions. La publication d’un ouvrage, d’un catalogue ou d’un petit journal, voire la réalisation d’un CD-Rom ou d’une vidéo, s’impose alors. Tantôt simples documents d’information, tantôt outils de réflexion et d’analyse, ces publications prennent parfois la dimension d’ouvrages de référence et font autorité sur le sujet traité. C’est là une forme de mécénat tout aussi active que les autres. À ce compte, on peut signaler parmi d’autres : l’ouvrage consacré à « Debré à Shanghai », édité par Fragments Édition avec l’aide de LVMH ; les catalogues thématiques de la Fondation Cartier ; les monographies des lauréats de la Fondation CCF ou du Concours Altadis éditées par Actes Sud ; le remarquable travail, enfin, que réalise depuis 1987 la Fondation BNP-Paribas (par ailleurs « Founding Corporate Partner » de la Tate Modern de Londres) pour favoriser la connaissance du patrimoine.
Si la vivacité du mécénat en faveur des arts plastiques est bel et bien une réalité, de nombreuses dispositions sont encore à inventer, notamment en matière fiscale, pour inciter de plus en plus d’institutions à s’y engager, sinon à en être partenaire. En ce domaine, l’action de l’Institut Gustave-Roussy est à sa façon exemplaire. Premier centre européen de lutte contre le cancer, il organise dans le cadre de la FIAC une exposition thématique, « Autoportraits », série d’œuvres réalisées par des enfants hospitalisés sous la direction d’un enseignant d’arts plastiques détaché à plein temps à son service. Une façon très prospective d’améliorer la qualité de la vie par le truchement de l’art.
L’Admical (16, rue Girardon, 75018 Paris, tél. 01 42 55 20 00) édite chaque année un annuaire de mécènes français et de leurs activités.
Renault, 34, rue du Point-du-Jour, 92109 Boulogne, tél. 01 41 04 61 77.
Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50.
Caisse des Dépôts et Consignations, 13, quai Voltaire, 75006 Paris, tél. 01 40 49 56 78.
SACEM, 225, av, Charles de Gaulle, 92000 Neuilly, tél. 01 47 15 15.
Fondation Hewlett-Packard France, Parc d’activités du Bois Briard, 2 av., du Lac, 91040 Évry cedex, tél. 01 69 82 60 60.
Fondation NSM Vie, 3, av., Hoche, 75008 Paris, tél. 01 56 21 80 00.
Espace Paul Ricard, 9 rue Royale, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00.
Fondation Électricité de France, Espace Électra, rue Récamier, 75006 Paris, tél. 01 40 42 70 24.
Fondation Coprim, 46, rue de Sévigné, 75003 Paris, tél. 01 44 78 60 00.
Fondation d’Art contemporain Daniel & Florence Guerlain, 5, rue de la Vallée, 78490 Les Mesnuls, tél. 01 34 86 19 19. LVMH, 54, av. Montaigne, 75008 Paris, tél. 01 44 20 84 02.
Giraudy, 17, rue Marignan, 75008 Paris, tél. 01 53 83 53 83.
BNP-Paribas, 3 rue d’Antin, 75002 Paris, tél. 01 42 98 07 67.
Institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif cedex, tél. 01 42 11 49 09.
Nicolas Feuillatte, BP 210 51206 Épernay cedex, tél. 03 26 59 55 50.
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Le mécénat en France, engagement et actions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°520 du 1 octobre 2000, avec le titre suivant : Le mécénat en France, engagement et actions