Malte - Histoire

La Valette - Sur les traces des chevaliers de Malte

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 août 2013 - 1165 mots

La capitale de l’île de Malte est l’une des rares villes à avoir conservé sa physionomie depuis plus de trois siècles. Sur les traces des moines bâtisseurs de la ville et du Caravage. Marie Zawisza, envoyée spéciale.

Envie d’un voyage dans le temps ? Direction Malte. Vous pénétrez à La Valette, sa capitale, en franchissant un pont au-dessus d’un fossé. Sans même le vouloir, dans cette ville baroque d’un kilomètre de long parfaitement conservée, vous débouchez sur le Grand Port, où viennent jeter l’ancre les navires de la Méditerranée : les rêveurs y voient, encore, voguer les vaisseaux fantômes des chevaliers de Malte. Ce sont eux, en effet, qui ont bâti cette ville militaire, première cité d’Europe construite sur plans, en 1566. Eux, surtout, qui ont forgé la légende de cette cité perdue dans la Méditerranée entre la Sicile et la Libye, devenue aujourd’hui un merveilleux musée à ciel ouvert… Ces moines-soldats, membres de l’ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, dont la vocation était de soigner les malades et de défendre la foi catholique, ont débarqué à Malte en 1530.

En leur confiant ce fief, Charles Quint espérait les voir contenir les Ottomans dans l’est de la Méditerranée. En 1565, en effet, les chevaliers mirent en déroute les navires de Soliman le Magnifique après un siège historique. Victorieux, le grand maître (chef de l’ordre) Jean Parisot de La Valette entreprit de construire une ville imprenable et lui donna son nom. Ironie de l’histoire : les chevaliers ne furent plus jamais assaillis. Aussi, jusqu’à ce que Napoléon les chasse de l’île en 1798, les nobles Européens adoubés au sein de l’ordre menèrent à La Valette la dolce vita, se consacrant à décorer les intérieurs de leurs sobres palais selon le goût baroque, qui s’imposait au XVIIe siècle, et rivalisant par leur magnificence avec les cours du continent.

Partout, des vestiges de la prestigieuse histoire
Juste à l’entrée de la ville, il faut pousser la porte de Notre-Dame-de-la-Victoire. Cette petite église fut la première édifiée à La Valette, en souvenir de la victoire du « Grand Siège ». Elle est actuellement en travaux : comme beaucoup de monuments maltais en ce moment, elle se refait une beauté pour 2018, année où la ville sera capitale européenne de la culture. Gravissez le petit escalier, au fond de l’église. En haut de l’échafaudage, vous pourrez contempler de près les fresques subtiles de la voûte… Un peu plus loin, arrêtez-vous face à l’Auberge de Castille, de Léon et du Portugal. L’ordre était divisé en huit « langues », ou nationalités : la France, la Provence, l’Auvergne, l’Italie, la Castille, l’Aragon, l’Allemagne et l’Angleterre. Dans les auberges, vivaient et se retrouvaient les chevaliers de chacune de ces contrées. Sobre à l’origine, l’édifice (aujourd’hui siège du Premier ministre) fut décoré en 1741 par le grand maître portugais Manoel Pinto da Fonseca dans un style rococo : la porte, encadrée de deux colonnes, est désormais surmontée d’un buste de ce dernier, entouré d’armoiries et d’exubérants attributs guerriers…

Profitez enfin de la proximité des jardins du Haut Barraca, créés par les chevaliers de la langue d’Italie, pour y jouir sur le belvédère d’un panorama grandiose sur le Grand Port, et reprendre des forces avant de visiter l’étonnante co-cathédrale Saint-Jean. Cette église conventuelle des chevaliers bâtie à la fin du XVIe siècle, un des plus importants monuments de la ville, fut élevée au rang de cathédrale en 1816, à l’égal de celle de Saint-Pierre-et-Saint-Paul de l’ancienne capitale, Mdina. Sa façade de pierre calcaire, dépouillée, arbore simplement un visage de Christ en fer forgé et une croix à huit pointes, symbole de l’ordre évoquant les huit béatitudes.

Austère ? Certes. Mais entrez. À l’intérieur, décoré par les chevaliers à partir de 1650, le contraste est saisissant. Sur la voûte, Mattia Preti, maître du baroque, a représenté la vie de saint Jean-Baptiste, patron de l’ordre : ses couleurs semblent se refléter au sol, pavé de quatre cents tombes de chevaliers en marqueterie de marbres colorés. Et autour de cette nef scandée de colonnes incrustées d’or sont disposées huit chapelles, correspondant aux huit langues de l’ordre, dont les reliques, ornées de sculptures et de peintures, font de ce lieu un joyau de l’art baroque.

L’hôpital Sacra Infermeria, un symbole
Rendez-vous ensuite au palais des grands maîtres. Traversez la cour de Neptune, plantée d’orangers, pour admirer, parmi les effrayantes armures qui ressuscitent la grandeur militaire de l’ordre, celle du grand maître Wignacourt. Peut-être l’avez-vous vue au Louvre, sur le portrait que fit le Caravage de son protecteur, lorsqu’il débarqua sur l’île en 1607…

Après vous être perdus à l’étage, au milieu des fresques du Grand Siège et des tapisseries chatoyantes de la manufacture des Gobelins, peuplées de flamants roses, d’éléphants et de léopards, si vous vous en sentez encore l’énergie, allez voir l’église de Saint-Paul-le-Naufragé. La légende veut en effet qu’en l’an 60, saint Paul ait échoué à Malte.

Saluez la belle statue polychrome du saint, réalisée à Rome vers 1650… et dirigez-vous vers l’un des lieux les plus symboliques de l’ordre, à l’extrémité de La Valette : son hôpital, Sacra Infermeria, où même le grand maître soignait gratuitement les malades. Face à ce couloir de plus de cent cinquante mètres de long plongé dans la pénombre, où s’alignaient autrefois les chambres des malades, vos rétines peuvent – enfin – se reposer de l’éclat des églises et des palais maltais…

Musée d’archéologie

On y découvre les mystérieux objets exhumés dans les temples mégalithiques de l’île, comptant parmi les plus anciens de l’histoire de l’humanité : des poteries ornées d’étranges monstres, des frises aux poissons, des outils et, surtout, de fascinantes représentations humaines aux jupes plissées, datées du IVe millénaire avant Jésus-Christ, et aux formes généreuses dignes d’une peinture de Botero. La plus touchante ? Sans doute celle qu’on nomme la Dame endormie, couchée sur le côté, la tête posée sur un bras.

www.heritagemalta.org

Casa Rocca Piccola

Le marquis de Piro, chevalier de Malte, a décidé d’ouvrir au public les portes de son palais du XVIe siècle, où il vit aujourd’hui encore avec sa famille. On y déambule dans un décor raffiné, où les photos de famille se mêlent aux tableaux (un Saint Paul l’Hermite de Mattia Preti, un autoportrait du peintre français Antoine de Favray…) et à d’étonnants objets d’art : une collection d’éventails en dentelle maltaise, une pendule typique de l’île, reconnaissable à son aiguille unique, ou encore un jeu d’échecs en ivoire mettant en scène les chevaliers…

www.casaroccapiccola.com

Musée de la co-cathédrale

Ne sortez pas de la cathédrale sans avoir vu son musée ! C’est là que se trouvent deux chefs-d’œuvre du Caravage, qui débarqua à Malte en 1607 avant d’être adoubé au sein de l’ordre : Saint Jérôme et l’effrayante Décollation de saint Jean-Baptiste, où le bourreau achève de décapiter sa victime tandis que Salomé lui tend son plateau. À l’étage, des tapisseries réalisées d’après des cartons de Rubens et Poussin témoignent du rayonnement de Malte et de ses chevaliers en Europe au XVIIe siècle.

www.stjohnscocathedral.com

Musée des beaux-arts

Dans ce palais situé à l’écart de la rue principale, des tableaux baroques, italiens et maltais, dialoguent avec des meubles maltais du XVIIe siècle. Parmi ses joyaux, à l’étage, plusieurs toiles du peintre qui marqua le plus profondément La Valette, le maître baroque Mattia Preti. Une des surprises du musée se trouve néanmoins au rez-de-chaussée : une délicate aquarelle du Grand Port par William Turner… d’après des tableaux d’autres artistes, puisque le peintre ne mit jamais les pieds à Malte !

www.heritagemalta.org

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : La Valette - Sur les traces des chevaliers de Malte

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque