Architecture - Restauration

PATRIMOINE URBAIN

La tour Perret, laboratoire de la restauration du béton

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2025 - 614 mots

La restauration en cours de la tour édifiée pour l’Exposition internationale de la houille blanche à Grenoble, en 1925, pose des défis inédits.

La tour Perret. © Photo Thierry Chenu, 2020, Ville de Grenoble.
La tour Perret.
© Photo Thierry Chenu, 2020, Ville de Grenoble

Grenoble (Isère). Du haut de ses 85 m, la tour Perret est autant un symbole qu’un mystère pour les Grenoblois. Fermé depuis les années 1960, l’édifice pionnier de la mise en œuvre du béton sur une grande hauteur présentait un visage délabré, le béton se détachant des fers apparents et rouillés. « Dans les années 2010, un Grenoblois sur deux voulait la détruire, et une bonne partie du conseil municipal avec eux, bien qu’elle soit classée monument historique depuis 1998 », rappelle Cédric Avenier, architecte et directeur du conseil scientifique de la restauration, qui porte ce projet de chantier depuis une vingtaine d’années.

Un projet pilote

Grâce au lobbying de l’architecte, et à la faveur d’un reportage diffusé sur France 3 en 2017 dans l’émission « Des racines et des ailes », les riverains comme les décideurs politiques prennent conscience de la valeur patrimoniale de ce monument unique au monde, édifié en 1925. Œuvre d’Auguste Perret (1874-1954), la tour est érigée à l’occasion d’une exposition internationale qui consacre Grenoble comme capitale industrielle des Alpes, à travers sa production hydroélectrique (la « houille blanche ») et l’industrie du ciment.

Il faut attendre octobre 2023 pour que la restauration du monument en souffrance débute ; en ce début d’année, le chantier est à mi-chemin, pour une ouverture prévue en 2026. En effet, une fois l’adhésion des politiques et du public emportée, le projet avait connu d’autres écueils, comme un premier appel d’offres infructueux, en 2022, auquel une seule entreprise avait répondu. Trop cher, et trop incertain pour cette restauration que le directeur du conseil scientifique souhaite exemplaire : « C’est un projet pilote, très lourd, complexe techniquement et déontologiquement. J’ai voulu en faire un modèle visible à l’international, car dans la restauration du béton, c’est un cas unique. » La disposition spécifique de la tour Perret, isolée au cœur du parc Paul-Mistral, fait aussi du monument un observatoire unique des réactions du béton aux effets de l’environnement. Les faces sud subissent les variations de températures, extrêmes en été pour cette ville située au fond de vallées encaissées, entre vagues de chaleur et orages soudains. Les faces nord sont, elles, exposées aux vents glaciaux de l’hiver alpin, qui érodent leur épiderme. « La tour est un baromètre, on peut y observer toutes les pathologies que peut subir le béton selon l’orientation, la hauteur », explique Cédric Avenier.

Après une importante phase de diagnostic, et en s’appuyant sur des plans d’une rare exactitude retrouvés dans les archives Perret, la restauration démarre. Elle commence par une phase de test grandeur nature, indispensable pour expérimenter de nouvelles méthodes de restauration des bétons anciens. Ainsi, pour reproduire le coffrage des bétons, signature des façades de Perret, a-t-on préféré la projection de béton, l’utilisation classique de coffrages en bois se révélant ici impraticable.

De même pour le repositionnement des aciers, qui dans les bétons anciens ne se trouvent qu’à 2 cm à peine de l’épiderme des piliers. Faut-il rajouter une couche de béton, ou bien retirer le matériau originel pour repousser les structures métalliques plus loin ? À l’issue du chantier test, c’est la seconde solution qui sera adoptée, malgré les réticences déontologiques initiales. « C’est toute la gymnastique de la restauration du béton. Les principes déontologiques d’un texte comme la Charte de Venise apparaissent inadaptés : comment conserver la matière originelle quand c’est cette même matière qui met en danger l’intégrité du monument ? » Les 15 millions d’euros investis dans ce chantier (par l’État, le Département et la Ville) permettront la restauration du monument, mais contribueront aussi à un héritage technique et un cadre éthique pour les futurs chantiers patrimoniaux du béton.

Intérieur de la Tour Perret à Grenoble. © Thierry Chenu / Ville de Grenoble
Intérieur de la Tour Perret à Grenoble.
© Thierry Chenu / Ville de Grenoble

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : La tour Perret, laboratoire de la restauration du béton

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