Après le Jugement dernier et la voûte de Michel-Ange, la restauration des fresques ornant les parois latérales de la chapelle Sixtine est en cours d’achèvement en vue du Jubilé. Ces opérations ont permis de mettre en avant le rôle des ateliers auprès de Botticelli, Ghirlandaio, du Pérugin et de Rosselli.
ROME (de notre correspondante) - En l’an 2000, Jean-Paul II, après Sixte IV et Clément X, sera le troisième pontife de l’histoire de l’Église à rendre son lustre à la chapelle Sixtine. La restauration des Histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament, les fresques confiées par Sixte IV della Rovere en 1481 à Cosimo Rosselli, Sandro Botticelli, Domenico Ghirlandaio et au Pérugin, sera en effet terminée pour le Jubilé. Afin de réaliser les seize panneaux dans les délais très brefs imposés par le contrat, les quatre artistes avaient eu recours à des collaborateurs au sujet desquels les documents restent muets, mais qui comptaient indubitablement parmi les meilleurs de l’école d’Ombrie et de Toscane du XVe siècle, tels Luca Signorelli, Piero di Cosimo, Pinturicchio, Bartolomeo della Gatta, Rocco Zoppo, Biagio d’Antonio, Fra Diamante et Andrea d’Assisi surnommé l’Ingénieux.
L’équipe chargée de la campagne de conservation, lancée il y a quelques années, est la même que celle qui travaille actuellement dans les Chambres – Stanze – de Raphaël. Elle est dirigée par Arnold Nesselrath, directeur du département d’art byzantin, médiéval et moderne, et par le restaurateur en chef Maurizio De Luca. Après le nettoyage des Faits de la vie de Moïse, peints par le Pérugin, Botticelli, Rosselli, Pinturicchio et Biagio d’Antonio, la restauration du Baptême du Christ, dont l’attribution au Pérugin a été confirmée par la découverte de sa signature en bas à gauche, a été achevée en août dernier, de même que celle des Tentations du Christ signées de Botticelli.
En ce moment, les restaurateurs travaillent sur les figures principales de la Remise des clés du Pérugin, dans laquelle Nesselrath et une bonne partie de la littérature critique voient une participation substantielle de Signorelli – bien que Vasari ne cite que la collaboration de Bartolomeo della Gatta –, ainsi que sur la Cène, située à proximité, peinte par Rosselli avec l’aide de Biagio d’Antonio.
Lors d’une récente conférence au Courtauld Institute de Londres, Arnold Nesselrath a présenté les études menées directement sur le mur et le réexamen des rares documents concernant le maître d’œuvre. Ceux-ci consistent essentiellement en deux actes : un contrat du 27 octobre 1481, passé avec Rosselli, Botticelli, Ghirlandaio et le Pérugin, ne mentionnant que dix Histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament et obligeant les peintres à livrer leur travail en moins de cinq mois (pas au-delà du 15 mars 1482), et une expertise datée du 27 janvier 1482. Celle-ci précise que les esquisses des Histoires sont achevées et fixe la rémunération de chacun des quatre artistes à 250 ducats, avec un dédit sévère de 1/5 de la somme en cas de non-respect des délais. À ces deux documents s’ajoute un poème, découvert par l’Américain Monfasani, composé au printemps de l’année 1482 par Giorgio Trapezunzio, plus connu sous le nom de Giorgio da Trebisonda, qui célèbre les fresques déjà terminées. Cela porte à croire, selon Nesselrath, que l’on avait dû rédiger un autre contrat qui s’est égaré, et par lequel était commandée la réalisation d’autres fresques, six précisément, à effectuer en quelques mois.
Le point de césure des deux contrats se situerait précisément dans la Remise des clés où, soudain, le Pérugin réforme sa technique d’exécution. Tout d’abord, les journées (giornate) deviennent beaucoup plus remplies – trente-neuf au total –, dans une véritable course contre la montre : le temple situé au milieu est réalisé en deux jours, les deux arcs de triomphe latéraux en une seule journée, tandis que les figures requièrent en règle générale deux journées, une pour le corps, une pour la tête.
L’utilisation du carton par le Pérugin pour reproduire sur l’enduit le dessin de la Remise des clés est encore à l’étude. Dans le rideau de figures au premier plan, on remarque des traces de poncif, parfois soulignées par l’incision au stylet, comme pour les deux arcs de triomphe. En d’autres points, on retrouve des incisions faites sans carton. La technique d’exécution est plus claire : couches de couleurs à fresque, avec de larges zones successives réalisées à la chaux ou d’autres uniquement à sec, comme les laques et la palette d’azurite. À la seule différence que dans les œuvres précédentes, le Pérugin utilise l’or, en s’inspirant peut-être du plus modeste Cosimo Rosselli qui, comme le raconte Vasari, se sentant “plus faible dans l’invention et le dessin [...] illumina l’histoire avec beaucoup d’or”.
Signorelli, collaborateur du Pérugin
Concernant le collaborateur du Pérugin pour la Remise des clés, Nesselrath est enclin à voir la main pleine d’imagination de Signorelli dans le solide ensemble architectural et dans le cortège de gauche, notamment dans les deux personnages derrière Jésus, et dans la figure très caractérisée de Judas. L’identification des visages, dont certains sont de véritables portraits, suit son cours : par exemple, on a cherché à reconnaître Baccio Pontelli, l’architecte de la Sixtine, dans l’homme sur la gauche tenant un compas dans la main. Il est également reproduit plusieurs fois dans les autres Histoires, et c’est pourquoi, poursuit Nesselrath, les visages qui animent le cycle de la Sixtine seront tous réexaminés et comparés. Selon Silvia Ferino, le cinquième visage à partir de la droite, considéré traditionnellement comme un autoportrait du Pérugin, immortaliserait en réalité un membre de la famille Orsini.
Le nettoyage de la Cène de Rosselli, terminée en 32 jours, fait ressortir l’articulation géométrique des espaces, qui trouvent leur respiration dans les trois panneaux situés derrière le banquet ; ceux-ci représentent la Passion du Christ avec une technique comparable à celle de l’enluminure. Le rôle de l’artiste principal et celui du collaborateur, ici Biagio d’Antonio, sont également examinés pour la Cène. En réalité, la restauration de la Sixtine pose à nouveau un problème crucial de l’histoire de l’art, à savoir l’organisation de la production artistique sur le chantier et dans l’atelier.
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La chapelle des maîtres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : La chapelle des maîtres