ERCOLANO / ITALIE
Les fouilles de la Villa des Papyri à Herculanum sont au centre d’une violente polémique qui oppose Pier Giovanni Guzzo, surintendant de la circonscription archéologique qui englobe Pompéi, Herculanum et Stabies, au professeur Marcello Gigante, philologue de renommée internationale et papyrologue réputé. Lancé il y a cinq ans, le chantier a déjà englouti l’équivalent de 272 millions de francs.
HERCULANUM - Au mois de décembre, alors que la concession quinquennale des fouilles de la Villa des Papyri accordée par le ministère des Biens culturels touchait à sa fin, le surintendant Pier Giovanni Guzzo a exprimé son intention de ne pas la renouveler en déclarant sans ambages : "La fouille de la Villa des Papyri est un vaste bluff !" Ce qui conduit Marcello Gigante à s’interroger : "Tout ce qui n’est pas estampillé Guzzo est un bluff ?"
Les fouilles de la Villa des Papyri sont dirigées par Antonio De Simone, qui agit pour le compte de l’Infratecna, filiale du groupe Iri. Selon lui, les sondages et les vérifications ont permis de découvrir que la résidence s’étageait en terrasses successives vers la mer, exploitant les dispositions du cadre naturel et la vue sur le golfe de Naples : "À ce jour, les fouilles ont repéré le secteur nord-ouest de la Villa et tout son rez-de-chaussée, dont l’existence était insoupçonnée, ainsi que plusieurs autres bâtiments de la cité d’Herculanum, notamment un édifice énorme qui n’a pas encore été exploré". En cinq ans, ce chantier a déjà coûté 80 milliards de lires (272 millions de francs) au ministère des Biens culturels, et Pier Giovanni Guzzo veut désormais affecter cet argent à un "projet Herculanum" plus vaste (lire ci-dessous).
Découverte au XVIIIe siècle
La Villa des Papyri a été repérée en 1750, à une trentaine de mètres sous le niveau du sol, avant d’être atteinte par des galeries creusées entre 1750 et 1764. Cette luxueuse demeure devait appartenir à Lucius Calpurnius Pison Caesoninus, beau-père de Jules César. Il y avait rassemblé une collection d’œuvres d’art et une imposante bibliothèque, dont on a retrouvé plusieurs milliers de papyrus de l’école épicurienne.
Comme beaucoup d’autres édifices d’Herculanum au moment de l’éruption du Vésuve, en 79, la Villa était en travaux de réfection : les secousses sismiques s’étaient en effet multipliées depuis dix-sept ans, après le violent tremblement de terre de 62. Les ouvrages de la bibliothèque étaient donc emballés dans des caisses doublées et tapissées d’écorce d’arbre, mais la lave brûlante a néanmoins carbonisé le support des papyrus, rendant leur déroulement extrêmement difficile. Un système permettant de les lire sans les endommager vient cependant d’être mis au point tout récemment. Les spécialistes considèrent que cette bibliothèque d’œuvres grecques devait être complétée par des œuvres de poètes et de philosophes de l’époque, tels que Varius Rufus, Horace et Virgile. Pour Marcello Gigante : "La découverte de la partie latine de la bibliothèque serait un événement extraordinaire qui donnerait une impulsion nouvelle au développement de la science philologique et de l’histoire des textes antiques."
Guzzo versus Gigante
Professeur Guzzo, certains soutiennent que les fouilles n’ont pas été conduites dans les règles de l’art. Qu’en est-il ?
Pier Giovanni Guzzo : Je ne pense pas que l’on ait commis ici plus d’erreurs que lors de n’importe quelle autre fouille. Le fait est que nous devons fermer ce chantier parce que le secteur où se trouve la structure archéologique n’appartient pas à l’État. Je répète que si l’objectif de ces travaux était d’exhumer la Villa des Papyri, alors c’est un projet raté. En revanche, s’il s’agissait d’explorer une partie de la cité d’Herculanum, le projet était bon. La Villa ne se trouve pas – à l’exception d’une infime portion – dans la zone où les fouilles ont été menées. Cela, on le savait depuis longtemps : la Villa est ailleurs.
D’où votre "projet Herculanum" ?
Il s’agit d’un plan comparable à celui actuellement mis au point pour Pompéi, même si le problème posé par Herculanum est plus complexe. Il faudrait en particulier que la municipalité prenne ses responsabilités et définisse une politique claire en la matière.
Professeur Gigante, selon vous, doit-on continuer les fouilles de la Villa des Papyri ?
Marcello Gigante : Je ne suis pas archéologue, mais je sais qu’il existe une convention entre l’Infratecna et le ministère des Biens culturels, entérinée par des archéologues et des historiens de l’art antique. Si quelque chose n’est pas clair, que le surintendant dénonce cette convention auprès du ministère ! Que Guzzo me dise en privé qu’il faut fouiller la Villa, puis qu’il affirme au congrès sur la Grande Grèce organisé récemment à Tarente qu’elle n’existe pas, c’est une autre affaire… Encore heureux qu’il accepte la réalité de la Villa : un autre archéologue en niait jusqu’à l’existence !
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Herculanum en pleine tourmente
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Herculanum en pleine tourmente