GUERNESEY
Hauteville House, la demeure d’exil de Victor Hugo, rouvre au public après un an de travaux. Une restauration fidèle pour des visites en petits groupes.
Guernesey, îles anglo-normandes. La façade s’élève, imposante et massive, recouverte d’une teinte gris souris tout récemment réveillée par des huisseries au vert très vif : seule une plaque officielle laisse deviner le nom de son illustre et historique propriétaire, Victor Hugo (1802-1885). Fermée pendant un an, « Hauteville House », la Maison de Victor Hugo de Guernesey, a rouvert au public le 7 avril.
L’écrivain, banni en 1851 par Napoléon III dont il a fustigé le coup d’État, va faire de Hauteville House la demeure de son exil, une œuvre d’art totale, le manifeste de sa pensée romantique. De 1856 à 1870, il restructure, aménage, décore, dessine, sculpte, et bien sûr écrit. À Guernesey, Victor Hugo, qui n’avait jamais acquis aucune autre demeure auparavant, s’empare de cette grande maison bourgeoise et va la faire sienne au fil de ses années d’exil.
Depuis 1927, Hauteville House est la propriété de la Ville de Paris. Offerte par Jeanne, petite-fille de l’écrivain, et Jean, Marguerite et François, enfants de son petit-fils Georges, la maison a conservé la singularité des décors conçus par Hugo. « Pourtant, dès le temps de Victor Hugo, la maison a souffert d’infiltrations, les vers ont mangé sinon le fruit du moins les premiers tapis, l’usage de certaines pièces a changé ; après sa mort, des aménagements ont été faits, des lustres électriques ont remplacé l’éclairage au gaz, les feutres se sont usés, les soieries sont naturellement tombées en poussière sous l’effet du temps »,écrit Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo à Paris et Guernesey dans le guide récemment réédité de Hauteville House.
Le temps, le vent, la pluie et les embruns ainsi que quelques remaniements effectués dans les années 1950 ont causé des désordres dans l’étanchéité et la structure de l’édifice. Dès son arrivée à la tête des Maisons de Victor Hugo en 2010, Gérard Audinet sait qu’un « sujet » anglo-normand va s’imposer dans l’agenda. Inclus dans le plan des rénovations des musées présenté par la Ville de Paris en 2015, des chantiers sur les deux sites, Guernesey et Paris, sont prévus jusqu’en 2020 (lire l’encadré). Dès 2016, Gérard Audinet et ses équipes planchent sur Hauteville House. Il faut se replonger dans les documents d’archives, les correspondances et l’abondant corpus de photographies anciennes pour retrouver les différents états de la maison : sous Hugo, sous ses héritiers, et enfin sous l’ère du musée.
En avril 2018, la Ville de Paris annonce que François Pinault, par l’intermédiaire de sa société Pinault Collection, s’engage dans un mécénat majeur de 3,5 millions d’euros, le coût total de l’opération s’élevant à 4,3 millions d’euros. Alors que l’homme est connu pour son rôle actif dans l’art contemporain, et qu’il est déjà lié à la Ville de Paris à travers son projet à la Bourse de commerce, François Pinault s’engage ici dans un projet purement patrimonial. « Il l’a fait par conviction pour le patrimoine, convaincu par l’ardeur de la Maire de Paris [Anne Hildalgo], et surtout par attachement à l’égard de l’œuvre de Victor Hugo et à ses nombreux combats pour la liberté », explique Jean-Jacques Aillagon, directeur général de Pinault Collection.
Grâce à ce mécénat, le chantier est mené tambour battant, en un temps record au vu de la complexité des contraintes imposées par le contexte ilien. Mobilier et matériaux sont convoyés par ferry à travers la Manche. Une quinzaine de corps de métier sont réunis sur l’île, tandis que l’ingénierie structurelle est confiée à une société guernesiaise.
Cette restauration donne à la visite de Hauteville House une allure d’expérience sensorielle. Dès le seuil franchi, le visiteur est frappé par l’intensité des lieux, le foisonnement des couleurs, des matières et des matériaux, l’enchevêtrement des styles, les bricolages visibles, le mélange d’objets précieux et de meubles populaires. À Guernesey, Hugo fait venir ses plus beaux meubles parisiens, tout en brocantant dans l’île. La psyché de l’écrivain s’étale, et expose un esprit en surchauffe.
Ouverte seulement d’avril à septembre et dans le cadre d’une visite guidée (pour des groupes n’excédant pas 10 personnes), avec une jauge maximale de 220 personnes par jour, Hauteville House invite à se replonger, au choix, dans le lyrisme de ses vers, le trait de ses dessins ou l’intensité de ses textes politiques.
La maison parisienne en travaux
Hôtel de Rohan-Guéménée. Les équipes des Maisons de Victor Hugo ne chôment pas. À peine Hauteville House rouverte, c’est l’hôtel de Rohan-Guéménée, la Maison de Victor Hugo de Paris, qui ferme ses portes le 15 avril pour un an de travaux. Au programme, remises aux normes, aménagements muséographiques et création d’un parcours avec ajout dans la visite d’un escalier secondaire menant à la cour intérieure. Au rez-de-chaussée, un espace sera libéré pour installer un salon de thé. En se dotant d’un atelier pédagogique, le musée pourra également amplifier ses activités culturelles et scolaires. Dans la cour, un espace végétalisé accueillera un moulage de l’ancienne fontaine, transférée par Victor Hugo à… Hauteville House. La boucle sera alors bouclée. Réouverture prévue en mars 2020.
Francine Guillou
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À Guernesey, Hugo rouvre sa demeure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : À Guernesey, Hugo rouvre sa demeure