La métamorphose du V&A

Entretien avec Alan Borg

Alan Borg veut ouvrir son musée au monde contemporain

Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 946 mots

Avec la construction d’une extension en forme de spirale signée par l’architecte Daniel Libeskind, le Victoria and Albert Museum se prépare à une importante transformation. Son directeur, Alan Borg, nous fait part de ses projets pour ouvrir sur le monde contemporain ce vénérable établissement consacré aux arts décoratifs.

Comment expliquez-vous que le projet de Daniel Libeskind – une extension en forme de spirale – n’ait pas provoqué de controverse acharnée, comme ce fut le cas avec l’aile Sainsbury de la National Gallery ?
L’idée a été lancée à un moment où l’on prenait conscience, en Grande-Bretagne, que tous les projets architecturaux un peu aventureux étaient rejetés. C’est assez ironique, mais je pense que le refus déplorable du projet de l’Opéra de Cardiff a joué en notre faveur, sans oublier la publicité mondiale autour du Musée Guggenheim de Bilbao. Je serai néanmoins plus rassuré quand nous aurons l’argent pour construire cette extension. Nous disposons actuellement de trois espaces d’expositions temporaires d’environ 400 m2 chacun. Le projet de Libeskind représentera environ 7 000 m2 exploitables supplémentaires.

La célébration du centenaire sera-t-elle l’occasion de lancer une campagne de récolte de fonds ou d’élaborer une nouvelle approche des collections au V&A ?
Nous allons profiter de cette date pour rappeler au public – en présentant le projet de Daniel Libeskind – quel rôle joue V&A dans la création et le design actuels. Au sein du musée, une équipe sera chargée de donner une place plus centrale et plus visible à nos activités contemporaines. Étant donné l’immensité du bâtiment et son agencement chaotique, il est en effet possible d’y circuler pendant des heures, sans prendre conscience de notre engagement dans l’art contemporain. Pourtant, c’est notre principale préoccupation, et elle devrait s’étendre à nos collections historiques au lieu d’être considérée comme une sorte de bonus.

Cette volonté présidera-t-elle à la conception des expositions qui seront présentées dans le bâtiment de Libeskind ?
Absolument. Devoir réfléchir à la manière de présenter l’art et le design dans cet espace en spirale sera un défi intéressant. Regardez notre musée : il a beau être immense, il est déjà trop petit. C’est bien simple, nous n’avons plus de place. Il nous faut au plus vite modifier notre conception : nous ne rassemblerons plus des collections encyclopédiques pour les exposer dans des rangées de vitrines ; nous ne garderons pas tout. C’est pourquoi les espaces du nouveau bâtiment seront très différents et auront un rôle nettement plus actif. Des artistes pourront réaliser des œuvres sur place ; il y aura aussi des salles d’exposition traditionnelles ainsi que des espaces de vente. Il ne faut plus tenir les musées à l’écart des besoins du marché, surtout en ce qui concerne la création contemporaine.

Le musée va-t-il se transformer en galerie où l’on pourra acheter des œuvres ?
À mon avis, les musées ne devraient pas avoir peur de lancer des modes. Si nous ne le faisons pas, qui s’en chargera ? C’est notre vocation de musée national d’art et de design. Lorsque nous trouvons des œuvres intéressantes, nous devons les mettre en vedette.

Quelles sont vos prochaines expositions ?
Après sa tournée aux États-Unis, “A Grand Design” reviendra ici à l’automne 1999 pour les manifestations du centenaire  – le musée a été baptisé Victoria & Albert le 17 mai 1899. C’est l’exposition idéale pour célébrer cet événement puisqu’elle retrace l’histoire de nos collections. Si nous n’avons pas gagné d’argent aux États-Unis, nous n’en perdons pas non plus. Notre intention était de mieux nous faire connaître outre-Atlantique, et nous avons parfaitement réussi. “Le Design à l’ère du numérique” se tiendra cet été. Puis, fin 1999-début 2000, nous présenterons une série de manifestations pour fêter le troisième millénaire, en commençant par la plus grande exposition d’Art nouveau jamais organisée à ce jour. Notre propos est de montrer les spécificités et l’évolution de ce mouvement ville par ville. La seconde grande exposition prévue pour l’an 2000 a pour titre “brand.new”, qui étudie l’approche du design aujourd’hui ; elle cherchera à faire connaître de nouveaux produits en leur donnant une identité visuelle. En 2001, nous présenterons une exposition victorienne pour commémorer la mort de la reine Victoria. Enfin, pour 2002, nous proposerons le dernier volet d’une série sur le Moyen Âge ; elle a commencé avec “Les Anglo-Saxons” au British Museum, s’est poursuivie avec “L’âge roman” à la Hayward Gallery, et se terminera avec notre exposition consacrée au Moyen Âge tardif et au début de la Réforme. Nous y ferons le point sur ce que nous savons de cette période de grands changements.

Qui décide des expositions et sur quels critères ?
Un comité des expositions réunissant cinq à six personnes discute de la teneur des manifestations. Je prends les décisions en collaboration avec les responsables de la recherche, du développement, des expositions et plusieurs conservateurs. Mais à présent, nous ne pouvons plus rien organiser sans subventions ; c’est pourquoi il est primordial d’avoir une direction du développement efficace.
L’exposition “Grinling Gibbons” a été parrainée par Glaxo, bien qu’il n’existe aucun lien notable entre la sculpture sur bois et les produits pharmaceutiques. Mais Glaxo a jugé que Gibbons avait réalisé des œuvres de très grande qualité, même sa notoriété avait décliné depuis le XIXe siècle. Il faut également essayer de préserver un certain équilibre. Par exemple, nous n’avons pas exposé d’art chinois depuis longtemps et j’ai demandé au département des arts d’Extrême-Orient d’y réfléchir.

Quelle est votre politique en matière de droits d’entrée au musée ?
Nous ne savons pas encore si nous continuerons à faire payer l’entrée au musée. La grande question est celle de la TVA, que nous pouvons récupérer si l’entrée est payante. C’est un argument important pour justifier le statut commercial de nos revenus.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Alan Borg

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