CASABLANCA / MAROC
Un film et un air mythiques, un résident général éclairé et bâtisseur (Lyautey), une escale de l’Aéropostale, un champion de boxe de légende (Cerdan), une chanson de Georges Ulmer. Ce sont les premières références qui nous assaillent dès que l’on prononce les quatre syllabes espagnoles de Casablanca.
Mégapole de trois ou quatre millions d’habitants, agitée, industrielle, tellement française encore par une architecture et un urbanisme préservés : signes du passé en cette nouvelle Marseille d’Afrique, que la France de l’art moderne et colonial voulut édifier entre les deux guerres. La Casa d’aujourd’hui est revenue à l’Islam, Hassan II lui a fait don de la plus grande mosquée du monde ou presque, la ville rajeunit, ses limites s’étendent. Mais sur la route qui la relie à son aéroport, les Mercedes doublent des carrioles à chevaux, les collines alentour portent la teinte orangée ou vert tendre des fleurs sauvages qui les recouvrent, ânes et moutons paissent comme à l’époque almoravide : Casablanca la bienheureuse n’est point encore aussi polluée que Le Caire, aussi dangereuse que Lagos, ses rivales continentales.
Le blanc sied à la chaleur ainsi qu’au renouvellement des formes. Le Corbusier évoquait l’époque où les cathédrales étaient blanches, lui qui refond en cette couleur l’équilibre des villes. Le cœur de Casablanca, l’avenue Mohammed V en particulier, offre une anthologie comparée des audaces Art Déco. Façades de béton à colonnades et portiques, fresques de faïence, fers forgés Modern Style ont plutôt bien résisté au temps. Mais qui se souvient du nom de leurs concepteurs ? Les Hippolyte Delaporte, Marius Boyer, Pierre Jabin, Adrien Laforgue ? Deux édifices pourtant ont perdu leur fonction : l’hôtel Lincoln (architecte : Hubert Bride), dont les portes et les fenêtres hispano-mauresques sont comblées, et la cathédrale du Sacré-Cœur (architecte : Paul Tournon) qui n’est plus dédiée au culte. Quant au cinéma Rialto, on s’attendrait plutôt à y voir jouer La Piste du sud ou L’Atlantide que le dernier succès de Nicolas Cage. Inévitable nostalgie, comme à Saïgon ou à Buenos Aires, quand vous reviennent les souvenirs de cinéma ou de lecture, les refrains à quatre sous, les images d’un autrefois vécu ou non, et cependant si fortes : à Casablanca relâchaient les avions Latecoère de Mermoz et Saint-Exupéry en route vers Dakar puis l’Amérique du Sud et les cargos mixtes des Messageries maritimes remontant le bois du Congo vers Bordeaux. Des silos à grain, des entrepôts de phosphate, des terminaux pétroliers : de jour, on peut en convenir, les massives installations du port n’offrent guère d’attrait. Mais la nuit, c’est tout autre chose. On longe en voiture ces quais déserts et peu éclairés où se profile tout à coup l’ombre furtive d’un passant au pas vif, on s’arrête le temps d’apprécier un thé à la menthe dans un des estaminets qui paraissent ne jamais fermer, on joue à se faire peur, un peu, bien qu’il n’y ait aucun danger. Car il faut bien aussi que le voyage inquiète.
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Casablanca, Art Déco (part I)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°524 du 1 mars 2001, avec le titre suivant : Casablanca, Art Déco (part I)