La ville, qui détient l’une des plus fortes densités de musées au monde, est un mariage réussi d’art, de patrimoine et d’industries, d’initiatives publiques et privées. Tour de la ville en prévision de la prochaine édition d’Art Basel, en juin.
Hall et escalier noirs de monde et brouhaha de première. Assemblée en tenue de ville discrète et sage. Soir de vernissage au Kunstmuseum de Bâle. Nul besoin de carton d’invitation, l’entrée est libre et le rez-de-chaussée bordé de tables nappées de coton blanc où vin et autres délicatesses apéritives sont proposés. Depuis l’inauguration de l’institution en 1936, il en va ainsi.
Quand la cité d’Érasme se mobilise pour l’art
« Le Kunstmuseum est une partie du cœur des Bâlois, une part génétique », souligne Nina Zimmer, conservatrice au musée. « Toute nouvelle acquisition, exposition est commentée. » Cette relation puise son origine dans l’achat par la ville, en 1661, du cabinet Amerbach, riche en manuscrits, dessins, gravures et peintures dont celles d’Holbein. Collection que, dix ans plus tard, la cité offrait au regard de ses habitants. Car en ces terres protestantes imprégnées autant de fortes traditions humanistes – Érasme y a publié la majorité de son œuvre – que de conservatisme, le patrimoine mobilise. L’acquisition en 1967, après référendum et collecte publique, de deux toiles de Picasso – Les Deux Frères et Arlequin assis, menacées d’être vendues suite au revers financier de leur propriétaire qui les avait mises en dépôt au musée – fut elle aussi le fruit d’une mobilisation que Picasso d’ailleurs, touché par tant d’élan, accompagna d’un don de tableaux.
« La ville de Bâle aux œuvres d’art », peut-on lire au fronton du Kunstmuseum, épigraphe qui ramène aux liens qu’entretiennent depuis plus de trois cents ans la cité et sa population avec l’une des plus belles collections d’art au monde, mais plus généralement avec les arts et la collection. Si la Suisse possède la plus forte densité de musées (980) de la planète, Bâle, avec une quarantaine d’institutions muséales pour moins de 200 000 habitants sur un territoire de 37 km2, détient le record absolu. Des antiquités aux cultures du monde, des instruments de musique à l’art, des poupées à l’histoire de la pharmacie, les thématiques foisonnent et se déclinent en genres et en collections impressionnantes. Avec le Kunstmuseum en point d’orgueil – et d’identification de toute une cité –, la Fondation Beyeler, le Musée Tinguely, le Museum für Gegenwartskunst (le Musée d’art contemporain), le Musée d’archéologie et le Musée des cultures étant les autres points d’arrimage culturels de la cité.
En cette cité aux frontières communes avec l’Allemagne et la France, traversée par un Rhin où l’on se baigne, collectionneurs, mécènes, artistes et architectes forment un quatuor d’une grande finesse, les musées sont un festin, et l’architecture contemporaine, dépassé la charmante vieille ville, révèle un concentré de bâtiments époustouflants (bureaux, musées, stade…) signés par les plus grands : Mario Botta, Richard Meier, Renzo Piano et les Bâlois Herzog & de Meuron, Diener & Diener, Burckhardt Partner, ainsi que Morger et Degelo, auteurs de la Messeturm, la tour de la Foire. L’office de tourisme de Bâle a conçu une brochure Architektur in Basel avec des circuits à suivre.
La tradition d’investissement du privé dans la culture
Bâle est riche et ce depuis le Moyen Âge, comme en témoignent ses rues pavées cernées de belles demeures des XIVe-XVIe siècles et la vaste place de la cathédrale médiévale offrant un panorama somptueux sur le fleuve. Autrefois marchande, forte d’une industrie de la soie et fière de ses papeteries et imprimeurs, la ville est depuis le XXe siècle le siège de mutuelles et d’industries pharmaceutiques florissantes. Au premier rang desquelles les groupes Hoffmann-La Roche et Novartis qui ont tous deux fait appel à des grands noms de l’architecture pour leurs sites de recherche, de production et de bureaux, avec Hoffmann-La Roche en précurseur pour son bâtiment administratif élevé en 1936 par Otto Salvisberg en bordure du Musée Tinguely. « À Bâle, on n’étale pas ses biens, sa richesse, mais on soutient l’art », souligne Andres Pardey, vice-directeur de ce musée dessiné par Mario Botta à la demande de l’entreprise qui le finance encore aujourd’hui entièrement, l’amitié entre Tinguely, Maja Hoffmann et Paul Sacher, son deuxième époux, étant à son origine.
L’écrin signé Renzo Piano, que le galeriste Ernst Beyeler commanda pour présenter les chefs-d’œuvre de sa collection personnelle, révèle le même engagement pour l’art que le fascinant Schaulager, construit en 2003 par les architectes Herzog & de Meuron afin de conserver dans les meilleures conditions la collection d’art contemporain de la Fondation Emanuel Hoffmann. Dans cet espace intérieur vertigineux, les professionnels de l’art sont autorisés à travailler sur les œuvres, à les consulter. Une fois par an, à la faveur d’une exposition, le public peut pénétrer dans les lieux. Excepté cette année, où le Schaulager vit un réaménagement intérieur afin d’offrir davantage d’espaces à la recherche non sans avoir prévu en février 2013 une exposition « Steve McQueen ».
Une programmation à venir qui renvoie à celle d’aujourd’hui. Car Bâle et ses musées peuvent s’enorgueillir de mettre en appétence, particulièrement à l’approche d’Art Basel où les institutions phares montent des expositions spectaculaires. La ville bruit alors et frissonne de mille et une soirées avant de revenir à la tranquillité feutrée qui la pare habituellement.
Le Vitra, à 30 km de Bâle, plein d’audace
Lorsque la fabrique de meubles Vitra a été ravagée en 1981 par un incendie, l’initiative de son responsable, Rolf Fehlbaum, de passer commande à Nicholas Grimshaw pour reconstruire ses bâtiments relevait de l’audace. L’homme de l’Art anglais est encore peu connu. Le bataillon d’architectes – Alvaro Siza, Zaha Hadid, Tadao Ando, Frank O. Gehry et Sanaa – qui suivra révélera le flair de cet esthète visionnaire qui transfigura en une quinzaine d’années le site de Weil am Rhein situé en territoire allemand, à une trentaine de kilomètres de Bâle. Tous (excepté Grimshaw) ont été récompensés du prix Pritzker à l’instar d’Herzog & de Meuron, dont l’incroyable VitraHaus (showroom de l’entreprise) se profile depuis 2010 à l’entrée du site à proximité du Vitra Design Museum, première construction en Europe dessinée en 1989 par Frank Gehry. Quant aux acquisitions de Fehlbaum, elles livrent un dôme géodésique de Richard Buckminster Fuller, une station-service de Jean Prouvé et deux arrêts de bus de Jasper Morrison où l’on descend en arrivant de Bâle par le bus n° 55 !
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Le Musée des cultures
Lancé en 1998, le sublime réaménagement mené par Herzog & de Meuron du plus grand centre ethnologique de Suisse engendra des résistances de la part d’associations de défense du patrimoine soucieuses de préserver les maisons médiévales qui entourent l’institution située sur la place de la cathédrale, à l’arrière d’une cour. Le toit original a dû être rabaissé sans que la physionomie du projet ou l’esprit minimaliste des expositions, orientées autour de phénomènes sociaux tels que « Chinatown » jusqu’au 6 mai, ne soient entamés.
www.mkb.ch
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Le Kunstmuseum
D’Holbein à Jasper Johns, sa collection recèle des œuvres de renommée internationale. L’adjonction au musée d’un nouveau bâtiment, dont l’inauguration est prévue en 2016, permettra de voir davantage ses collections (dont actuellement seuls 4 % sont montrés) et plus d’expositions. En attendant, il est possible de découvrir jusqu’au 12 août prochain l’exposition « Renoir » consacrée aux jeunes années du peintre avant de poursuivre la visite au Museum für Gegenwartskunst, le musée dédié à l’art contemporain, à deux pas du Kunstmuseum.
www.kunstmuseumbasel.ch
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Le Musée Tinguely
Signé Mario Botta, ce musée au bord du Rhin gère la collection de l’artiste, dont l’exposition permanente, alimentée par la moitié du fonds, couvre l’ensemble de l’œuvre. Les expositions renvoient à d’autres artistes qui rentrent en résonance tels Edward Kienholz [jusqu’au 13 mai, lire L’œil n° 643] ou Vladimir Tatline ensuite. Pour rejoindre l’institution à pied depuis le Gegenwartskunst, prendre le bac reliant les deux rives puis traverser le parc Solitude.
www.tinguely.ch
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La Fondation Beyeler (à Riehen)
Dans ce superbe édifice de plain-pied situé à 15 mn en tram du centre-ville, ouvert sur la campagne et éclairé par la lumière du jour selon les critères fixés par son commanditaire, le galeriste Ernst Beyeler, à l’architecte Renzo Piano pour abriter sa collection de maîtres de l’art moderne, règne « luxe, calme et volupté ». Monet, Rodin, Picasso, Giacometti, Klee, Bacon, Rothko... côtoient l’Art premier tandis qu’est consacrée une exposition à Pierre Bonnard jusqu’au 13 mai puis à Jeff Koons.
www.fondationbeyeler.ch
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Bâle : au grand festin des arts
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Bâle : au grand festin des arts