Fermé depuis 2003 à la suite de la découverte d’amiante dans ses locaux, le Rijksmuseum d’Amsterdam vient à peine de voir débuter les travaux d’une vaste campagne de rénovation. Victime de lenteurs administratives, il ne devrait pas rouvrir ses portes avant 2013. Son directeur, Wim Pijbes, crie au scandale.
Fermé pour travaux en 2003, le Rijksmuseum, à Amsterdam, ne devrait pas rouvrir ses portes avant 2013. Devant les retards successifs indépendants de sa volonté, le directeur Ronald de Leeuw a préféré quitter son poste, conscient qu’il atteindrait l’âge de la retraite avant la réouverture du musée. Son successeur, Wim Pijbes, ancien directeur de la Kunsthal de Rotterdam, a pris ses fonctions en juillet 2008. Dans ce premier entretien accordé à la presse internationale, Wim Pijbes revient sur la fermeture prolongée du musée, la qualifiant de « scandale ». Le projet du Rijksmuseum se décline en trois volets : augmenter les espaces d’exposition, moderniser les infrastructures pour accueillir un nombre croissant de visiteurs et redonner sa splendeur à l’édifice de Pierre Cuypers érigé en 1885. En 2001, le concours d’architecture avait couronné le projet du bureau sévillan d’Antonio Cruz et Antonio Ortiz. Durant la fermeture de l’édifice principal, l’aile Philips nouvellement réaménagée est restée ouverte, proposant un florilège des collections de l’âge d’or flamand. Près d’un million de visiteurs s’y pressent chaque année. Or l’actuelle présentation a beau satisfaire la plupart des touristes, elle ne montre qu’une infime fraction des collections. Si certaines œuvres ont été prêtées à d’autres musées, la plupart sont entreposées à Lelystad, une ville située à 40 kilomètres d’Amsterdam.
En avril 2003, la découverte de la présence d’amiante dans la partie principale du musée a précipité la fermeture de l’édifice, où les travaux devaient débuter huit mois plus tard. La réouverture était alors prévue pour 2008. C’était compter sans les problèmes d’aménagement urbain. Le Rijksmuseum est historiquement traversé en son centre par un passage piéton ainsi qu’une piste cyclable. Les cyclistes ont souhaité maintenir cette voie, que les piétons pourront également emprunter. Or les nouvelles entrées du musée seront toutes accessibles via ce passage où devraient transiter plusieurs millions de visiteurs par an. Les négociations autour de cette voie ont duré plus d’un an, le musée acceptant au final que les vélos continuent à utiliser leur piste cyclable, laquelle sera isolée par des panneaux vitrés. Les visiteurs auront ainsi cette vision surréaliste de cyclistes traversant le musée à toute vitesse derrière des vitres.
L’un des autres gros obstacles en termes de programme urbain fut le nouveau centre d’études, une structure contemporaine qui devait être accolée à l’édifice de Cuypers. Le projet original était, il est vrai, disproportionné, et sa taille a été réduite à la suite de vives protestations. Au total, le Rijksmuseum a eu besoin d’une centaine de permis de construire, ce qui a nécessité pour leur délivrance des années supplémentaires. Les principaux permis ont été délivrés en décembre 2007, à l’heure où la patience venait à manquer aux architectes Cruz et Ortiz, lesquels étaient à deux doigts de rendre leur tablier. Enfin, les appels d’offres ont également suscité des problèmes, et les premiers chantiers n’ont été attribués qu’en novembre 2008. Les travaux ont enfin repris sur le site en décembre dernier, avec une date d’achèvement fixée à 2013. Wim Pijbes répond à nos questions.
En 2013, le Rijksmuseum aura fermé ses portes pendant dix ans. Serait-ce aller trop loin que de qualifier cela de désastre ou de scandale ?
C’est un scandale. Ces propos rendent les gens très nerveux. Les officiels du ministère de la Culture me disent : « Ne formulez pas de mauvaises nouvelles. » Il est regrettable que les jeunes n’aient pas accès au musée. J’avais 12 ans lorsque j’ai mis les pieds ici pour la première fois, avec un groupe scolaire en provenance de Groningen. Nous avons monté l’immense escalier avant d’arriver face à la Ronde de nuit de Rembrandt. Notre professeur nous avait dit : « C’est le tableau le plus important au monde. » Cet instant était spectaculaire. Le Rijksmuseum est un portail sur la culture, pour la jeunesse, pour les touristes, pour tout le monde. Si vous fermez cette porte pendant dix ans, vous fermez la porte sur le plus important lieu artistique du pays. C’est une honte. Cela représente non seulement un manque à gagner, mais aussi une génération de perdue – ceux qui n’iront jamais au musée à l’âge de 12 ans pour la première fois. Par ailleurs, le Rijksmuseum représente une ressource pour la communauté artistique. Nous comptons des millions d’objets. Nous sommes fermés. Oui, c’est un scandale. Et il y a des pertes économiques. Les touristes dépensent 5 milliards d’euros chaque année à Amsterdam, et 70 % d’entre eux déclarent être venus pour visiter nos musées, parmi lesquels le Rijksmuseum arrive en tête. La fuite des cerveaux n’est pas surprenante. Les équipes sentent que leur carrière leur file entre les doigts. Nombre de bons conservateurs sont partis lorsqu’ils ont compris que le musée serait fermé pendant dix ans. Nous faisons du sur-place tandis que le monde change à toute vitesse. C’est une situation très inconfortable, bien plus qu’on peut l’imaginer. Les gens n’ont pas conscience de l’ampleur de cette perte, tant au niveau intellectuel que financier.
Qui est responsable ? le gouvernement ou la direction du musée ?
Notre situation est compliquée. Le musée est une fondation. Nous louons le bâtiment au ministère des Travaux publics, et nous sommes subventionnés par le ministère de la Culture. La complexité des problèmes urbanistiques a été largement sous-estimée.
L’obstacle principal a donc été l’obtention du permis de construire. Les financements ont-ils également posé problème ?
Non, bizarrement, pas du tout. Le projet dans son ensemble coûte 333 millions d’euros, dont la plupart proviennent du gouvernement dans le cadre d’un « don du Millenium » fait à la nation en 1999. Environ 135 millions d’euros sont dévolus à la rénovation du bâtiment principal et le reste va à des projets parallèles.
Que s’est-il passé avec l’appel d’offres ?
D’après la réglementation européenne, tout projet de construction doit passer par un appel d’offres. Seule une entreprise s’est présentée, le Royal BAM Group. Mais en janvier 2008, le devis s’est révélé dépasser de 84 millions le budget initial d’un montant de 135 millions d’euros. Le gouvernement a donc soumis le projet à un nouvel appel en février, en le divisant en sept chantiers pour attirer plus d’entreprises. Début novembre, les quatre premières offres ont été retenues et les travaux ont pu débuter.
Comment le nouveau Rijksmuseum sera-t-il aménagé ?
Le concept établi en 2003 était d’intégrer l’art et l’histoire dans une seule présentation chronologique. À l’époque, personne ne faisait cela, mais, depuis, le Musée du Louvre à Paris et le Boijmans Van Beuningen à Rotterdam s’y sont mis. Nous voulions être à la pointe, les premiers, les meilleurs. Il y a un risque que la fraîcheur de nos idées originales soit perdue. Sur le plan technologique, les plans doivent être revus, car l’équipement acoustique et les techniques d’éclairage, par exemple, évoluent rapidement. J’ai apporté quelques changements aux plans originaux. La collection d’art du XXe siècle sera transférée du sous-sol à l’étage, où les œuvres bénéficieront de plus d’espace et de la lumière naturelle. Je vais également donner plus de place aux photographies au sous-sol.
Avec un parcours chronologique, les visiteurs effectueront-ils l’intégralité de la visite ou iront-ils directement voir les tableaux de l’âge d’or ?
Le Rijksmuseum était l’édifice le plus grand du pays à sa construction, et la plupart des visiteurs n’auront pas envie de déambuler pendant une heure avec d’arriver à la Ronde de nuit. C’est pourquoi ce tableau retrouvera sa place habituelle, sans doute accroché quelques centimètres plus bas. L’âge d’or est le plat principal de notre menu et c’est ce que les deux tiers de nos visiteurs viennent voir. Je souhaite non seulement exposer des tableaux du XVIIe siècle mais les présenter dans leur contexte, et démontrer la continuité dans l’histoire et la culture néerlandaise.
Le programme de travaux du Rijksmuseum souffre de la complexité de la politique urbaine…
Précisément. Nous souhaitons une société démocratique, où chacun peut exprimer ses opinions personnelles, mais nous devons également travailler ensemble. Le système néerlandais a fonctionné pendant quatre cents ans, mais il est en train d’arriver à son terme, surtout depuis les cinq, dix dernières années. Ce système équilibré souffre de l’émergence de l’extrémisme. Le Rijskmuseum se doit de réagir et de jouer un rôle actif, non pas en tant que prescripteur mais en expliquant comment les choses ont évolué et pourquoi elles sont ce qu’elles sont.
Votre dernière exposition montrait le crâne incrusté de diamants signé Damien Hirst, For the Love of God. Pourquoi l’avez-vous présenté ?
Le crâne met en évidence mes projets pour le nouveau Rijksmuseum. Hirst est un artiste qui décrit parfaitement notre époque. Pour certains, son art est vulgaire, presque pornographique, mais il est aussi superbement réalisé. Il nous interpelle sur notre époque, sur ce qu’est la valeur et ce qu’est un prix. Le crâne est une œuvre d’art qui pose des questions, et c’est là l’un des rôles principaux de l’art. Exposer Hirst renforce l’idée que nous ne sommes pas dans un palais du passé, non plus que seulement dans un musée de maîtres anciens – un terme que je n’apprécie pas. Notre autoportrait de Rembrandt, exécuté à l’âge de 22 ans, est un manifeste très ambitieux de la part d’un jeune artiste. Je voudrais redéfinir les maîtres anciens comme des jeunes artistes du XVIIe siècle.
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Amsterdam attend son Rijksmuseum
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Abonnez-vous dès 1 €Légende Photo : Wim Pijbes - copyright Rijksmuseum - Ph : Steven Snoep
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Amsterdam attend son Rijksmuseum