American Express vole au secours du patrimoine mondial

Cinq millions de dollars pour la préservation de vingt-deux sites

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1996 - 710 mots

Plus d’un dixième du produit mondial brut, soit trois trillions de dollars, provient du tourisme, ce qui en fait la plus grosse industrie du monde moderne. Cet état de fait ne manque pas d’alarmer les spécialistes de la conservation du patrimoine mondial, pour qui cet afflux de visiteurs entraîne de graves déprédations des sites historiques et des monuments. Peu de fondations contribuent à la préservation des sites, et plus rares encore sont les sociétés qui embrassent cette cause, sans parler des entreprises directement liées à l’industrie du tourisme qui, à l’évidence, ne se sentent même pas concernées. Seule American Express fait figure d’exception.

NEW YORK (de notre correspondant). Ces dernières années, American Express a contribué à la restauration de l’Arc de Triomphe, du Sphinx de Gizeh, de la statue de la Liberté, d’Angkor Vat, de la cathédrale Saint-Paul… Mais surtout, elle a récemment débloqué 5 millions de dollars (environ 26 millions de francs) sur cinq ans – la plus importante somme jamais allouée – pour un programme global administré par le World Monuments Funds (WMF).

L’opération "World Monuments Watch" a d’abord permis de constituer une liste de 100 sites "menacés de disparition" dans 57 pays. Elle recense 22 sites en Europe de l’Ouest (dont la moitié en Italie), 17 en Europe centrale et de l’Est, et 6 sur le territoire de l’ex-URSS. Sept sites ont été retenus aux États-Unis, 17 en Amérique centrale et du Sud, 8 en Afrique et 23 en Asie. Les pétroglyphes de l’âge de pierre dans la vallée de Coa, au Portugal, et Çatalhöyük, en Turquie, sont les sites les plus anciens. Au nombre des plus récents : les peintures murales de Mexico, le funiculaire de Valparaiso, au Chili et la Colonne sans fin de Brancusi, en Roumanie.

Jouer un rôle de catalyseur
Selon Bonnie Burnham, directeur exécutif du WMF, un tiers de la liste recoupe celle du Patrimoine mondial de l’Unesco, qui répartit son modeste budget entre les 430 sites environ que compte la liste, dont la sous-catégorie des "menacés de disparition" comprend principalement des réserves naturelles.

Si la liste a été établie par le WMF, c’est la société American Express qui a alloué les subventions, rendues publiques le 23 mai. La société reconnaît que ses intérêts financiers et la répartition de ses agences dans le monde ont joué un rôle dans son choix, tout en soulignant que la liste finale comprend également des monuments et des sites célèbres – Pompéi, le Taj Mahal à Agra, Sainte-Sophie à Constantinople… –, des lieux d’intérêt majeur – le palais de Néron à Rome, Ellis Island dans la baie de New York… – et des sites éloignés de ses succursales – les palais d’Abomey et de Porto-Novo au Bénin, l’ancien port de Dubrovnik détruit par la guerre, le paysage culturel de la vallée de l’Abava en Lettonie, et les missions en adobe du Nouveau-Mexique.

Tourisme mal régulé
Le WMF a pris complètement à sa charge une douzaine de projets, mais dans la plupart des cas, son rôle consiste à s’assurer de la faisabilité des campagnes existantes et à susciter des aides complémentaires : dès lors que des mécènes locaux prennent le relais, le site peut être retiré de la liste. "Nous voulons jouer le rôle de catalyseur", explique Bonnie Burnham.

Cinq sites ont bénéficié d’une aide de 100 000 dollars, quatre ont reçu 50 000 dollars et les treize autres ont dû se contenter d’une aide moins importante. La Fon­da­tion Kress, un partenaire de longue date du WMF, a décidé de consacrer 300 000 dollars à certains des sites et des monuments qui n’ont pu, cette fois, recevoir une aide de l’American Express, tels que l’église en bois de Vågåmo en Norvège et celle de Pogost en Russie.

Même en comptant la donation de l’American Express, la somme totale allouée par le WMF en 1995 a atteint seulement 5 millions de dollars. Face à la rareté des dons, il est urgent de susciter des aides et de diminuer les dangers auxquels les sites sont exposés. Certains monuments souffrent de catastrophes naturelles – inondations, incendies, cyclones… – et de la détérioration des matériaux dans le temps, mais l’écrasante majorité d’entre eux est victime de la négligence humaine, de la pollution, du tourisme mal régulé, du vandalisme et des actes de guerre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : American Express vole au secours du patrimoine mondial

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