Patrick Zachmann de l’agence Magnum fait partie des rares photographes qui ont eu accès au chantier de Notre-Dame de Paris. Dans ce travail au long cours, entamé depuis juin 2019, se raconte de l’intérieur l’incroyable aventure humaine de la restauration de la cathédrale.
Je ne m’imaginais pas non plus mener un travail aussi long sur du patrimoine. Le soir du 15 avril 2019, je circulais en scooter quand un ami m’a envoyé une photo de fumée en me disant qu’il avait l’impression que Notre-Dame brûlait. Je n’étais pas très loin. Quand je suis arrivé sur le pont de la Tournelle, il y avait des Parisiens, des touristes, des jeunes qui pleuraient, qui priaient. C’était un spectacle effrayant car on ne savait pas jusqu’où l’incendie allait se propager. J’ai pris des photos et une vidéo que l’agence Magnum a diffusées. Il m’a fallu un mois pour comprendre que suivre le chantier de reconstruction de Notre-Dame m’intéressait. La mémoire, la disparition, la question de l’identité sont des thèmes qui traversent mon travail de photographe et de cinéaste.
Je ne crois pas.
Le silence. On était entre la fin des travaux d’urgence et les travaux de sécurisation qui allaient commencer. Le trou béant dans la toiture, les poutres calcinées et les pierres au sol étaient impressionnants comme les chaises qui étaient pour la plupart restées sur pied. L’attention portée à la lumière est venue plus tard. Le jour où le soleil a pénétré l’intérieur de manière directe et non à travers les vitraux, les rosaces, fut également un moment inouï. Cette période passée, c’est l’humain qui m’a intéressé, sinon je n’aurais pas pris autant de temps à photographier.
Des contraintes de sécurité d’abord, en particulier le protocole de sécurisation au début contre la pollution, à cause du plomb. On passait par des vestiaires où l’on vous donnait des vêtements jetables, des chaussures de sécurité, un casque et aussi, pendant un certain temps, un masque d’assistance respiratoire. Les appareils photo eux-mêmes devaient être enveloppés dans du plastique pour qu’ils puissent être nettoyés… Puis il y avait les accès, les échafaudages, les trappes qui changeaient constamment et qui m’obligeaient à trouver d’autres chemins à emprunter. Mais les ouvriers me connaissaient et m’aidaient. L’accès à l’information était difficile car il y avait plein de chantiers dans le chantier qui évoluaient, bougeaient en permanence.
Oui, par exemple au début, monter au sommet d’une grue à 90 mètres de hauteur, barreau après barreau, entièrement à pied. J’aime les hauteurs bien que je ne fasse pas de montagne. Les accès compliqués, la distance qu’imposait parfois le travail des cordistes m’a conduit aussi pour la première fois à travailler au zoom.
Plein de choses : la fierté des hommes et des femmes, leur passion, malgré les conditions extrêmement dures à cause des intempéries ou des positions inconfortables requises par certains travaux. Il y avait des maçons, des tailleurs de pierre qui ont fait des formations de cordistes pour continuer à participer au chantier. C’était très vivant, très cosmopolite. Les gens sont venus de pays très différents de l’Europe, du Maghreb, de l’Afrique et même de l’Amérique latine comme Santiago, un cordiste colombien et passionné d’histoire de l’art, qui avec une de ses collègues – une ingénieure qui avait suivi une formation de cordiste – ont fait un relevé en partenariat avec le CNRS de tous les signes lapidaires du Moyen Âge à l’intérieur et à l’extérieur de la cathédrale. Il y a eu aussi, au début, toutes les interrogations sur la manière dont le bâtiment allait réagir aux interventions. Je me souviens de la tension incroyable lorsque le premier cintre en bois pour renforcer les arcs-boutants a été installé. Tout le monde était là pour suivre l’opération : Philippe Villeneuve (architecte en chef des monuments historiques), Patrick Chauvet, alors recteur-archiprêtre de Notre-Dame, les charpentiers, les tailleurs de pierre, mais aussi les ingénieurs et architectes qui avaient tout conçu.
Oui, quand il s’est agi de monter un matin tôt dans une nacelle pour photographier les cordistes qui travaillaient au démontage de l’échafaudage autour de la flèche ; un travail impressionnant, car il était impossible pour eux de déboulonner les 40 000 tubes d’acier calcinés et enchevêtrés. Ils devaient les scier. De fortes rafales de vent ont obligé à redescendre la nacelle.
Un lien intime qui me renvoie à des moments vécus très fort, difficiles à communiquer. Quand le chantier sera terminé, cela fera un véritable vide pour moi, comme pour tous les gens qui y ont travaillé. C’était une formidable aventure humaine et patrimoniale. Je continuerai à y aller car j’ai envie de photographier les gens qui vont la découvrir.
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Patrick Zachmann : « Une formidable aventure humaine et patrimoniale »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Patrick Zachmann : « Une formidable aventure humaine et patrimoniale »