« Cesse de me bassiner avec ton budget […] Et si tu râles, on va finir par te muter à la Défense.» Mot manuscrit adressé par le Premier ministre Michel Rocard à Jack Lang..
« J’ai vu ta joie à la perspective de pouvoir à nouveau dépenser sans compter. Tu es vraiment… impayable ! » : humour du ministre du Budget, Michel Charasse, au ministre de la Culture.
Plus de 1 300 pages réunissent les notes écrites, parfois plusieurs fois par jour, par Jack Lang à ses collègues, à leurs cabinets et à François Mitterrand, lorsqu’il était Rue de Valois (1981-1986 et 1988-1993), ainsi que certaines des réponses reçues. Édité par l’universitaire Frédéric Martel, accompagné de discours, de communiqués, d’interviews, l’ouvrage [1] édifiant, permet de lire au jour le jour la construction d’une politique culturelle inédite. Ces archives témoignent d’un volontarisme, d’un acharnement épistolaire qu’on aimerait voir ressurgir Rue de Valois. Premier sujet : la promesse d’accorder 1 % du budget de l’État à la culture. Lang ne cesse de ferrailler chaque année, de se battre contre des amputations de crédits, des restrictions d’emplois. « Je suis atterré, scandalisé »,écrit-il à Pierre Mauroy. Il avertit François Mitterrand que « certains responsables du budget veulent le tromper », qu’ils « imaginent un artifice, une ruse pour maquiller » le calcul du 1 %. Louis Schweitzer, directeur de cabinet du Premier ministre Laurent Fabius reçoit sa volée de bois vert : « Votre pouvoir d’empêchement est décidément sans limite […]. Je trouve mesquin votre refus […]. Je m’abstiendrai désormais de vous demander, à l’avenir, quoi que ce soit. »
Outre sa longévité, la force de Lang réside dans sa proximité avec le président de la République, lequel reçoit son flot de notes, mais d’un autre acabit. « Il faudrait que l’Élysée soit une ruche où les gens de culture viennent se nourrir du miel de votre pensée. Ils seront ensuite d’excellents “propagandistes” », lui écrit-il pendant la première cohabitation. Il le met en garde contre un « Chirac-girouette », contre « Léotard et sa bande », qui cherchent à récupérer l’action accomplie et à mutiler celle en devenir.
Contrairement à nombre de ses successeurs – comme François Léotard et bien d’autres –, Jack Lang « ne débarquait pas de la lune », ainsi qu’il le dit lui-même. L’agrégé de droit public avait fondé le Festival international de théâtre de Nancy, avait été directeur du théâtre national de Chaillot et avait méticuleusement préparé, depuis 1975, son arrivée Rue de Valois avec de talentueux collaborateurs. L’artiste est au centre de la nouvelle politique, par exigence mais également pour l’influence qu’il pourrait exercer lors d’élections, sur le vote de la jeunesse notamment. Les courtisans le comprennent bien. L’ouvrage rend compte des luttes de pouvoir comme du phénomène de cour à l’époque. Une époque révolue ?
Ce livre retrace les succès de Lang, mais également ses regrets, ses échecs. Le ministre souhaitait que le « Grand Louvre » soit « un organisme aussi vivant que le Centre Pompidou », qu’une académie internationale y fasse « respirer l’air de la création et de la réflexion ». La direction des Musées de France est « le secteur le plus poussif du ministère ». Il ne parvient pas à convaincre François Mitterrand de créer au Palais de Tokyo une institution réunissant photographie et cinéma. Le coup fatal sera porté par Catherine Trautmann qui en fera un centre d’art contemporain : « Comble du comble, un gouvernement de gauche annulerait un projet d’un autre gouvernement de gauche », lui écrit-il furieux. En 1986, il propose à Laurent Fabius huit slogans pour la campagne des législatives. En tête des suggestions : « La France en marche ».
1. Jack Lang (présentation et édition par Frédéric Martel), Une Révolution culturelle, Dits et écrits, Bouquins Éditions, 2021, 32 euros.
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Un volontarisme à reconquérir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Un volontarisme à reconquérir