La gauche a-t-elle trahi la culture ?
C’est la question que pose le journal Le Monde en novembre 2012, six mois après l’élection de François Hollande à la présidence de la République. L’article fait suite à l’annonce de la diminution des crédits de la culture de 3,2 % par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, « une première pour un gouvernement de gauche », écrit le quotidien. Et une première erreur pour Hollande, qui s’attaque là davantage à un symbole de la gauche qu’à un poste dispendieux.
Car la culture représente moins de 1 % du budget de l’État, et les symboles ont parfois leur importance, comme l’a compris Manuel Valls, dont vous lirez l’interview exclusive dans L’Œil, qui, dès son arrivée à Matignon en 2014, décide de garantir le budget de la culture. En 2012, la question du Monde n’est pas nouvelle. Elle est même régulièrement formulée en coulisses par les hommes et les femmes, artistes, interprètes et responsables d’institutions, qui déplorent l’absence de la culture dans le débat politique national depuis les élections de 2002, et plus encore lors des primaires socialistes et de la campagne présidentielle de 2012. De cette période date indéniablement le désamour entre les artistes, les créateurs et les intellectuels, et la gauche qui ne parvient pas à renouer avec l’un de ses électorats traditionnels.
Baisse du budget de la culture, arrêt des grands chantiers… :
il est reproché à la gauche gouvernementale de ne plus porter un projet politique culturel. Pire !, de manquer d’ambition en matière de culture, comme l’avait laissé entendre David Kessler, pourtant conseiller aux affaires culturelles du président de la République. Depuis l’après-guerre, les débats ont souvent été animés, voire houleux, entre les milieux culturels et la politique. La forme que devait prendre la politique culturelle d’un État providence n’est pas allée sans heurts dans les années 1950, tout comme le volontarisme de François Mitterrand n’a pas été sans susciter des polémiques dans les années 1980. Et, même après, entre les tenants de « l’exception culturelle » française et ceux du « déclin de la culture » au profit du « tout culturel » (avec la place de plus en plus grande accordée aux industries culturelles), l’affrontement a été animé ! Il est clair que la culture en France a considérablement changé depuis la création du ministère des Affaires culturelles par de Gaulle en 1959. Des dizaines de musées, de Frac, de centres d’art, mais aussi de bibliothèques, de théâtres et de salles de concert ont été bâtis partout sur le territoire ; les collections nationales se sont considérablement enrichies et les expositions séduisent désormais des milliers de visiteurs ; le patrimoine matériel – et maintenant immatériel – s’est ouvert à un public de plus en plus large et de plus en plus gourmand… Quant à la politique culturelle, elle n’est plus exclusivement – d’aucuns diront plus du tout – du ressort de l’État, dont la compétence s’est diluée sous l’effet de la décentralisation dans les régions, les départements et les communes, comme au sein des institutions elles-mêmes, qui, à leur niveau, se sont dotées de services culturels et éducatifs dont les résultats sont tangibles.
Dans ce contexte, quelle nouvelle politique définir pour la culture ? On voit bien qu’après la mission confiée à Malraux de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité » et la culture « vivante » « au plus grand nombre possible de Français », et celle portée par Jack Lang de créer les outils de la décentralisation culturelle, un troisième âge des politiques culturelles est nécessaire. L’État n’a pas, comme on le dit, abandonné la culture, mais il se trouve fragilisé sur un secteur qui a gagné en professionnalisme et en autonomie, et qui demande de plus en plus de moyens. Quant à la gauche – mais cela vaut aussi pour la droite –, elle peine à trouver sa doctrine. L’éducation culturelle et artistique ou les cultures numériques auraient pu servir de doctrine, mais Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin n’ont pas su les défendre et, surtout, les incarner. Or on sait que la culture passe aussi, en France, par l’incarnation et par le verbe. Et que si la gauche est coupable de quelque chose, c’est de ne pas avoir encore trouvé celui ou celle qui succèdera à Malraux et Lang, et que les Français attendent.
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Trahison
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Trahison