Le Musée national d’art moderne (Mnam – Centre Pompidou) demeure un musée public puisque, notamment, l’État assure son budget de fonctionnement et finance amplement à nouveau la rénovation de son bâtiment qui va commencer prochainement.
Mais pour le développement de sa collection, sa gestion se rapproche de celle de musées privés. Son budget d’acquisition est en effet très faible au regard des prix du marché, tant pour le moderne que le contemporain : 1,8 million d’euros. Il doit donc compter sur la générosité des treize comités d’acquisition des Amis du Centre Pompidou, de Fondations, de mécènes, ou bien sur l’opportunité de dations, ce mécanisme fiscal qui permet à des héritiers de régler leurs droits de succession non en numéraire mais en œuvres d’art. Contrairement à ses homologues américains, il ne peut recourir au deaccessioning, vendre des œuvres pour en acheter de nouvelles. Les collections publiques restent inaliénables, pour l’heure encore.
Le Mnam ne peut donc que se féliciter de recevoir une donation dont la valeur dépasserait trois fois son budget annuel d’acquisition. 17 artistes viennent d’offrir 23 œuvres par l’intermédiaire de leur galeriste, Emmanuel Perrotin. La donation, qui va être exposée au Mnam en ouverture de la semaine des foires d’art contemporain à Paris, comprend des artistes phares de la galerie (Bernard Frize, Maurizio Cattelan, Johan Creten, Sophie Calle, Takashi Murakami, Jean-Michel Othoniel), mais aussi certains moins connus (Tavares Strachan, Emma Webster), dont la carrière va bénéficier de l’aura du Centre Pompidou. Certaines pièces sont monumentales, comme Broken Square l’installation du duo Elmgreen & Dragset (2018, 100 x 800 x 400 cm). Murakami donne une peinture en trois panneaux Forest Companions (2017, 300 x 450 cm), première œuvre de l’artiste à entrer dans les collections du Mnam. Le choix des artistes et des œuvres résulte d’une décision du directeur et des conservateurs du Mnam et non de la galerie, est-il précisé. C’est donc à eux que l’on doit également l’entrée dans les collections de « l’artiviste » JR, comme il se nomme, avec Chroniques de Clichy-Montfermeil, Work in Progress, (2017, 3 panneaux 50 x 150 cm). La cerise sur le gâteau.
En 1990, lorsqu’il avait vingt-et-un ans, Emmanuel Perrotin avait ouvert une galerie devenue depuis une méga-galerie présente dans sept villes au monde (Paris, New York, Los Angeles, Hong Kong, Shanghaï, Séoul, Tokyo) et participant à une vingtaine de foires chaque année. L’an dernier, il a annoncé céder 60 % de sa société à la filiale française du fonds d’investissement américain Colony Capital. Il avait déjà participé à des donations ponctuelles, mais son coup d’éclat de septembre est sans commune mesure avec les usages habituels des relations musées-marché en France, caractérisées plutôt par la méfiance. Certes, on peut évoquer les sept donations de Daniel Cordier de 1973 à 1989, totalisant plus de 500 œuvres, mais celui-ci n’était plus galeriste à cette époque.
La générosité de Perrotin égale son sens de la communication, puisque par raccourci l’on parle déjà d’une « donation Perrotin ». Comme s’il était le propriétaire des œuvres, alors qu’il n’en était que le dépositaire, la galerie ayant toutefois sans doute participé à la production de certaines pièces particulièrement onéreuses. Par altruisme mais aussi par stratégie de positionnement muséal, les artistes ont renoncé au produit des ventes, le galeriste, lui, à sa commission de 50 %. Mais, avec son énergie et son talent, il a réussi une opération qui fera date et des émules. Le tabou est brisé et le budget d’acquisition du Mnam ne va certainement pas augmenter. Quelle galerie française (Almine Rech), ou étrangère implantée à Paris (Ropac, Gagosian, Hauser & Wirth) va lui emboîter le pas, avec désormais la bénédiction d’un musée public ?
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Perrotin fera-t-il des émules ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : Perrotin fera-t-il des émules ?