PARIS
Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
– Bonjour.
– Bonjour !
– Tiens, vous êtes là, vous, on vous aura donc invité.
– C’est amusant, je me faisais la même remarque à votre sujet. Ne vous êtes-vous pas querellé avec…
– Mais taisez-vous donc, ou tâchez au moins de mêler un peu d’esprit à votre méchanceté. Et bien le bonjour, Méhul, entendrons-nous un de vos airs ce soir ? Ah ! voici Baptiste aîné, du Français, qui m’a l’air bien rêveur, assis non loin de ce carton à dessin. Il a dû voir que le grand Talma était là, ainsi que Chénard, du Théâtre-Italien. Ça n’est pas un jour à faire ses premiers pas dans le monde. Aïe, surtout quand cela consiste à marcher sur les pieds des autres. Eh bien, faites attention, Monsieur… ?
– Percier, Charles Percier pour vous servir, architecte de profession, et voici mon associé et ami, Pierre François Léonard Fontaine.
– Mais oui, ne serait-ce pas à vous que l’on doit ce chantier qui n’en finit pas d’éventrer notre belle ville, entre le Louvre et la place que l’on appelle désormais de la Concorde ?
– C’est bien nous, en effet.
– Tant mieux, j’espère qu’on y marchera plus à son aise que dans l’atelier de ce bon Isabey.
– Je crains de vous décevoir, Monsieur, car l’atelier où nous nous trouvons est également l’une de nos œuvres.
– Oh, je me disais aussi, ce mélange admirable de goût étrusque et d’allusions à l’Italie de la Renaissance. Admirable, vraiment admirable. Tiens, j’aperçois Girodet-Trioson. Ah, il nous a vus. Mais si, je vous assure, c’est nous qu’il regarde. C’est bien naturel, après tout. Ne formons-nous pas un admirable sujet pour un peintre d’histoire ? Gérard ne doit pas être bien loin. Mais oui, il est assis à côté du maître de maison, qui semble occupé à lui expliquer quelque chose. Comment entendre sans être vu en train d’écouter. Mon Dieu, c’est ennuyeux. Mais quel tohu-bohu ! Tout à l’heure, j’étais coincé entre un jeune graveur à la mode et cet énorme buste de Minerve posé sur le poêle qui semblait si près de m’écraser que j’ai offert au graveur une tirade sans doute par trop enflammée sur les vertus de son art léger et si peu encombrant. Un mouvement de foule, et je me serais mis à improviser une ode au petit… Ah, Drolling, vous voilà enfin, moi qui n’était venu que pour vous. Sauriez-vous me dire ce que ces deux-là se racontent ?
– Des histoires de peintres.
– Mais encore ?
– Vous n’êtes pas au courant ? J’avais cru comprendre, cher ami, l’autre jour où nous fîmes connaissance dans le Salon de la comtesse…
– Je vous en prie, pas ce nom ici !
– J’avais cru comprendre, disais-je, que vous faisiez profession d’être homme bien informé.
– Oui, je le suis, mais…
– Allez, je vais vous dire la chose. Mais il faut d’abord que je vous raconte ce qui s’est produit, l’autre soir, à souper, chez une dame qui tient l’un des salons les plus élégants de tout Paris.
– Vous voulez parler de…?
– Cher ami, ne m’interrompez pas, ou je ne pourrai jamais en venir au fait. Donc, ce soir-là, Isabey, qui portait comme ce soir la veste rouge qui le fait reconnaître entre tous, s’est retrouvé, bien malgré lui, au cœur d’une intrigue terriblement divertissante, où l’art faisait bon commerce avec les égarements du cœur. Mon Dieu, mais c’est Boilly, le peintre ! Eh bien, quel bonheur de vous voir, Boilly.
– Mais enfin, Drolling, voulez-vous bien, enfin, je vous prie…
– Pardon ? Ah oui, votre histoire. Je vous la dirai un autre jour. Je dois parler à mon ami. Bonsoir.
– Bonsoir.
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Le Jour où… Isabey réunit ses amis dans son atelier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Le Jour où… Isabey réunit ses amis dans son atelier