Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer. Ce mois-ci Edward Hopper.
– Alors Bridget, vous le retrouvez ce dossier ? – Je cherche Patron ; j’étais sûre qu’il était dans ce tiroir, mais là, je ne sais pas, il y a quelque chose qui est coincé, je n’arrive pas à sortir le dossier.
– Dépêchez-vous mon petit. – Oui Monsieur, je fais tout mon possible, mais je ne sais pas qui a mal rangé ce tiroir, tout est de travers. Ça doit être Lorna. – Lorna, c’est qui Lorna ? – L’intérimaire. Celle qui est venue donner un coup de main la semaine dernière. Vous ne vous souvenez pas ? – Hein ? De quoi ? – Mais de Lorna ! Patron, il me semblait pourtant qu’elle vous plaisait bien. – Vous racontez n’importe quoi Bridget ! Alors ça vient ce dossier, ou il faut que je le cherche moi-même ? – Si Monsieur veut se donner la peine, je me ferai un plaisir de lui céder la place. Vous savez qu’il est 22h45 ? Mon dernier train part de Grand Central juste après minuit. – Ah oui, tiens, c’est vrai, il fait nuit, je n’avais pas remarqué. C’est cette nouvelle lampe de bureau que vous avez achetée. Elle éclaire impeccablement. C’est très bien Bridget, bon achat ! – Vous êtes bien aimable. – Mais pourquoi est-ce que vous ne vivez pas à New York ? Ça serait quand même plus commode pour le travail, vous ne pensez pas ? Le mois dernier vous êtes arrivée en retard deux fois, il me semble. – Une fois Monsieur, c’était à cause du train, un homme s’était jeté sur la voie. Un chômeur, à ce qu’a dit le journal du lendemain. – Ah bon, j’avais complètement oublié. – Mais si vous vouliez bien m’augmenter, Patron, je pourrais peut-être envisager de déménager plus près du bureau. – Ne dites pas de bêtise et trouvez-moi ce dossier. Vous n’arrêtez pas de bavarder ; résultat : ça fait trois fois que je relis cette lettre sans rien y comprendre. – Si vous voulez, je peux vous résumer son contenu, c’est le dossier Duncan, vous savez, le contentieux. – Mais enfin, vous me prenez pour un idiot ? Évidemment que je le connais ce dossier. Tenez, dès que vous aurez fini de farfouiller inutilement, je vous dicterai une lettre. C’est bien vous, je crois, qui m’avez demandé d’acheter cette énorme machine à écrire ? Je l’ai là, toute la journée, comme une grosse bête noire et inerte, qui me tourne obstinément le dos. Alors merci de vous en servir, que je n’aie pas à regretter cette dépense. – Quand on regarde votre bureau Patron, on n’a pas vraiment l’impression que vous investissez dans le superflu. – Est-ce que vous pouvez fermer la fenêtre ? Je sens un courant d’air... – Et le dossier, je laisse tomber ? – Ok, j’ai compris, je ferme la fenêtre et vous, débrouillez-vous pour me trouver ce foutu dossier, je dois répondre à Duncan. Mais dites-moi, à propos de superflu, elle vous va pas mal cette robe ; elle est nouvelle ? – Elle a deux ans Patron. – Bon, le principal, c’est qu’elle vous va bien. C’est vrai qu’il est tard Bridget. Vous allez me taper cette lettre et puis, après, si vous avez raté votre train, vous passerez la nuit à la maison.
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Le Jour où… Hopper a peint "Office at Night"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Le Jour où… Hopper a peint "Office at Night"