PARIS
Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...
Fétiche - Certes, Tania Mouraud ne fait pas son âge, mais de là à l’entendre déclarer que son objet fétiche est un fauteuil de gamer, c’est-à-dire de joueur, il y a une marge ! Devant notre étonnement, elle rit et explique : « Il s’agit de l’assise super ergonomique qu’utilisent les jeunes qui passent des heures devant leur écran pour jouer en ligne. Il est d’un confort inimaginable. Il peut s’adapter à toutes les morphologies, ce qui empêche d’avoir mal au dos. C’est mon gendre, spécialisé dans l’image virtuelle, qui, il y a plusieurs années déjà, voyant mon addiction à mon ordinateur, me l’a conseillé. » Celle qui passe facilement d’un médium à un autre est devenue un modèle pour les graffitistes avec, d’une part, le mot « NI » qu’elle avait déployé sur cinquante-quatre panneaux publicitaires Dauphin dans cinq arrondissements du Nord-Est parisien afin de dénoncer les diktats consuméristes, et, d’autre part, avec ses immenses fresques urbaines qu’elle a produites, dans les années 1990, en étirant et rapprochant les lettres de mots tels que « IHAVEADREAM » ou « WHATYOUSEEISWHATYOUGET », jusqu’à ce qu’ils se transforment en d’immenses motifs abstraits géométriques noir et blanc. Tania Mouraud élabore ainsi ses créations, seule, confortablement assise devant son écran, qu’il s’agisse d’installations, de montages photographiques, de peintures murales ou de vidéos. En fait, ce fauteuil de gamer lui est indispensable. Il correspond bien à son côté « mamie geek», baskets et blouson de cuir : « Quand j’y pense, poursuit-elle : lorsque j’ai commencé ces peintures murales à la fin des années 1970, je devais les préparer à la main sur papier millimétré. C’était si laborieux que je me suis mise à l’ordinateur individuel dès que cela a été possible. Et j’ai appris à m’en servir très vite. » Côté apprentissage, Tania Mouraud a fait ses classes un peu partout : elle a étudié en Angleterre, a commencé sa pratique artistique à New York, puis à Düsseldorf où elle a vécu cinq ans. Elle y fréquente, alors, aussi bien Nam June Paik, promoteur de l’art vidéo, que Joseph Beuys, performeur historique. Elle précise : « Aujourd’hui, mon atelier ressemble à un open space, il y a des ordinateurs partout. J’en possède plusieurs, un pour le graphisme, un autre pour le son, et encore un autre pour la vidéo. J’ai gardé cette habitude après avoir suivi des cours de musique électronique à l’Ircam : c’était un des premiers conseils donnés par les professeurs pour éviter les problèmes en cas de panne ou d’intrusions virales. En son, j’ai aussi suivi des cours online proposés par l’université de Berklee de Boston. Ainsi, en 2012, j’ai réalisé un concert à la gare d’Austerlitz pour la Nuit blanche de Laurent Lebon. J’ai donné beaucoup d’autres concerts de musique expérimentale avec de célèbres DJs. J’adore ce qui est nouveau, j’adore apprendre ! » La rétrospective dont a bénéficié l’artiste, il y a trois ans au Centre Pompidou-Metz, a permis d’apprécier ses nombreux champs d’exploration, l’aspect recherche permanente de sa pratique artistique. Au demeurant, la rebelle Tania Mouraud a de qui tenir : un père avocat, amateur d’art, et une mère femme d’affaires, éditrice, écrivaine, tous deux grands résistants sur le plateau du Vercors durant la Seconde Guerre mondiale, et amis de Fautrier et de Prévert : « Je me souviens qu’ils dînaient souvent à la maison. » Mais, pour revenir à son fameux fauteuil de gamer, Tania Mouraud remarque encore : « Il constitue une prolongation de moi-même, une sorte d’appendice biomorphique ! » Malicieuse, elle profite de son avantage de pro et ajoute : « Mon petit-fils, qui a 30 ans, s’est acheté un contrôleur Midi. Et c’est moi qui lui ai appris à s’en servir ! »
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Le fauteuil... de Tania Mouraud
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Le fauteuil... de Tania Mouraud