« Mon objet fétiche, je le porte sur moi », dit Jean-Michel Othoniel. « C’est un collier en petites perles de verre rouge. Je l’ai créé en 1997. Depuis, je ne le quitte jamais. » Il ajoute : « Je l’appelle mon collier cicatrice. »
À cet énoncé, l’imaginaire s’emballe, la boîte à fantasmes se met à tourner à plein régime et les correspondances poétiques affleurent par brassées. À quelles blessures intimes cet objet fait-il référence ? S’agit-il d’un sautoir de larmes, d’un chapelet d’hémoglobine, d’une amulette aux vertus thérapeutiques branchée à même la peau ? Comme à son habitude, l’artiste propose une pièce qui met les sens en alerte et déclenche une foule d’images troubles.
Pour qui connaît son œuvre, toute en fausse retenue, ce collier n’a rien d’innocent. Il appartient à une série récurrente commencée cette année-là avec une sculpture en perles géantes montrée dans les jardins du Musée Guggenheim, à Venise. Une pièce qui dessine un espace vide, une béance à explorer. Une sorte de mandorle pour divinités païennes. Sonder les zones de non-dit, plonger dans les profondeurs de l’âme, sublimer la tristesse et la perte sont autant de pistes ouvertes par Jean-Michel Othoniel. Il sait conjuguer la douceur abrasive et l’évocation brute, la puissance impérieuse du désir et les marques laissées par les passions oubliées. L’artiste raconte : « J’ai conçu ce collier en verre de Murano dans le cadre d’une performance collective réalisée pour la Gay Pride à Paris et intitulée Beau comme un camion. L’artiste américano-cubain Félix Gonzáles Torres venait de mourir du sida à 35 ans. Nous étions un certain nombre à vouloir lui rendre hommage. » Pour Jean-Michel Othoniel, le travail de Félix Gonzáles Torres, qu’il avait rencontré plusieurs fois, marque un tournant dans l’histoire de l’art contemporain. Il précise : « Il a insufflé
de la chair et du sang dans les formes minimalistes issues des années 1970. »
Exit le puritanisme d’un Donald Judd ou d’un Robert Smithson. Place au corps, à l’émotion, aux marques de souffrance. Place, également, à la générosité et au partage avec les pyramides de bonbons et les piles d’affiches en libre service. Mais revenons à la Gay Pride de 1997 et à l’offrande faite par Jean-Michel Othoniel à l’artiste disparu : « J’ai réalisé mille et un colliers comme celui-ci. Je le donnais à ceux qui montaient dans notre camion. En contrepartie, je les prenais en photo avec le collier. » L’idée de ce talisman sanglant a surgi durant son séjour à la Villa Médicis à Rome en 1996-1997 : « J’ai été impressionné par la sculpture de sainte Cécile que j’ai vue, là-bas, dans l’église qui porte son nom. Cette martyre fut décapitée : autour du cou tranché était dessiné un filet de sang, trace de sa décollation. » Pourquoi a-t-il fait de ce collier son grigri ? Réponse : « Il symbolise, pour moi, la blessure que chacun porte au fond de lui-même. Selon notre propre histoire, nous nous construisons à partir d’une faille que nous essayons de transcender. Cela nous fait avancer. Au plus mal ça nous donne la force de taper le pied au fond de la piscine pour sortir la tête de l’eau. » Il ajoute, un brin provocant : « Quand quelqu’un porte ce collier et qu’on le regarde de dos, on a l’impression que son cou vient d’être coupé ! »
Plus sérieusement, en filigrane, ce talisman marque les étapes d’un positionnement politique : en 1997, les lois sur le Pacs venaient tout juste d’être adoptées. Et, aujourd’hui, après la controverse sur le mariage pour tous, ces petites perles saignantes soulignent l’appartenance à une communauté, celle des homosexuels durement touchés par le sida, et dont le combat pour l’égalité citoyenne n’est pas près d’être terminé. Et puis, on ne sait jamais, « les artistes sont tous un peu superstitieux », conclut Jean-Michel Othoniel, qui n’est pas loin de penser que certains morts veillent sur nous. À condition, toutefois, de ne jamais les oublier.
En novembre, l’artiste a inauguré une série de dix sculptures intitulées Les Nœuds de Lacan que lui a commandée Thierry Coste pour le Café Beaubourg, Paris-4e.
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Le collier cicatrice de J.-M. Othoniel
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : Le collier cicatrice de J.-M. Othoniel