Hexagone - En géométrie, l’hexagone est un polygone à six sommets et six faces. En art, toutefois, l’Hexagone possède à peu près autant de facettes que la scène française compte d’artistes. Et pour cause, la scène hexagonale, qui prendra le 16 octobre ses quartiers d’automne au Palais de Tokyo, ne se laisse pas facilement enfermer dans une définition. La scène française n’est en effet ni une question de technique, ni une question d’esthétique, ni même une question d’âge, de genre ou de territoire, mais un agglomérat d’artistes liés à la France. Née à Pasadena, aux États-Unis, Nina Childress vit et travaille à Paris, enseigne la peinture à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, elle appartient donc à la scène française, à l’instar du sculpteur Victor Yudaev, né en Russie, et de Davor Vrankic, dessinateur croate dont la France, sa patrie d’adoption, peine à reconnaître le talent. Quant à Marie Reinert, si elle a vu le jour à Paris, elle est aujourd’hui installée à Berlin, ce qui peut expliquer que son travail de vidéaste soit peu connu en France, comme celui de Marie Losier d’ailleurs (qui a pourtant eu les honneurs du MoMA en 2018). Tous ces plasticiens, pourtant, composent l’originalité et la richesse de la « scène française ». On ne s’étonnera pas de l’ouverture et de la générosité d’un tel concept. Picasso, Brancusi, Giacometti, Soutine, Foujita, Zao Wou-Ki, Duchamp, Hantaï, Vasarely… la liste est longue des artistes revendiqués par la scène française. Cela provoque parfois des débats : Laure Prouvost, certes née à Croix près de Lille mais formée au Central Saint Martins College à Londres, était-elle la plus légitime pour représenter la France à la Biennale de Venise cette année ? Quelques blessures profondes aussi, notamment lorsque la France, gênée par sa tradition d’accueil et d’universalité, ne parvient pas, ou plus, à reconnaître et à défendre ses propres artistes. Ne nous voilons pas la face, « Futur, ancien, fugitif, une scène française », la nouvelle exposition du Palais de Tokyo, est destinée à panser les plaies. Initiative louable mais isolée, et qui ne parviendra donc pas, seule, à réparer la défaillance du système. Vladimir Velickovic, qui nous a quittés le 29 août, installé en France depuis les années 1960, enseignant aux Beaux-Arts de Paris et académicien, n’aura finalement pas vu la grande rétrospective qu’il méritait pourtant d’avoir dans un grand musée parisien. À l’heure où la France a retrouvé ses couleurs grâce au dynamisme de sa création, grâce à l’attractivité de son marché et à la notoriété de ses institutions, il serait temps de remettre ce système à plat.
Écartelé - Événement phare de la rentrée, l’exposition Bacon au Centre Pompidou a fait le choix extrême d’exposer les œuvres du peintre britannique sans cartels explicatifs. Un choix d’autant plus radical que l’exposition entend mettre en parallèle la peinture de Bacon avec la littérature extraite de sa bibliothèque. Ainsi, « Bacon en toutes lettres » fait paradoxalement l’économie des lettres pour rendre compréhensible son sujet. « Enfin une exposition sans explications, mais avec de la peinture, rien que de la peinture », se félicitent certains. Là encore, le débat n’est pas neuf. Il oppose les initiés aux autres ; les premiers honnissant les cartels, les guides et les audioguides, les seconds appelant à plus de médiation. L’émotion contre la raison, en sorte. Après tout, la peinture n’a pas besoin de sous-titres pour tenir le mur, surtout quand elle est signée Francis Bacon. C’est vrai, sauf que, dans le cas de « Bacon en toutes lettres », l’exposition entend justement développer un propos : montrer combien les livres de Bataille, Nietzsche, Leiris, Eschyle et autres ont nourri le peintre et son œuvre, combien la littérature a constitué « un stimulus puissant pour son imaginaire ». Or, à moins d’une illumination, force est de constater que le visiteur risque de passer à côté du propos de l’exposition. Pire, il risque de se sentir frustré d’en être volontairement écarté. À qui l’exposition Bacon s’adresse-t-elle ? Aux quelques happy few qui auront la chance de posséder les clés ou aux milliers de visiteurs que le musée attend dans ses murs ?
Le même jour que Bacon, une autre exposition de peintres britanniques a ouvert à Paris : « L’âge d’or de la peinture anglaise ». Cette exposition du Musée du Luxembourg prend l’exact contre-pied de celle du Centre Pompidou en proposant des cartels à l’entrée des salles, des notices d’œuvres développées, une chronologie explicative et même un planisphère montrant l’expansion coloniale de l’Empire britannique aux XVIIIe et XIXe siècles. Autant de médiation bienvenue qui n’empêche nullement le visiteur de prendre le temps d’admirer les tableaux, dont d’admirables morceaux de peinture signés Reynolds, Gainsborough, Turner et Loutherbourg.
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Hexagone Écartelé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : Hexagone Écartelé