Faux
C’est le terme consacré pour désigner une partie de la production artistique. Qu’est-ce qu’un faux ? Et combien sont-ils ? Le faux est un original, nous explique le dossier que nous consacrons ce mois-ci au sujet. Il est un original mais qui n’existe pas ; autrement dit, qui n’a jamais été réalisé par la main de l’artiste auquel il est attribué. Le faux n’est donc pas une réplique à l’identique d’une œuvre existante (auquel cas il s’agirait d’une copie), ni une œuvre attribuée par erreur à un autre artiste. Non, le faux est un tableau, une sculpture, un dessin, etc., qui a été réalisé par un faussaire dans le but de tromper le monde de l’art : ses experts, ses marchands, ses musées… Problème, le faux existe depuis l’Antiquité, et il concerne toutes les périodes et toutes les techniques, de l’art pariétal à l’art le plus contemporain. Ainsi, Luca Giordano contrefit-il au XVIIe siècle une œuvre d’Albrecht Dürer qu’il admirait, tout en inscrivant au revers du tableau son propre nom. Le prieur qui en fit l’acquisition pour 600 écus, peu content d’avoir été dupé, porta l’affaire devant le tribunal, qui rendit son verdict en faveur du faussaire : « On considéra que très grand était son mérite d’avoir si bien montré une valeur égale à celle de Dürer », raconte son biographe en 1729. Ce tableau, La Guérison du paralytique (1653), est aujourd’hui conservé à la Pinacothèque d’Athènes et porte bien la signature de Giordano à son dos… Cette histoire serait amusante si elle n’était pas une anecdote parmi d’autres – toutes, étonnamment, tournées à la gloire du faussaire. Problème : à combien le nombre de faux s’élève-t-il aujourd’hui ? Des centaines ? Des milliers ? Certains disent plusieurs dizaines de milliers. Dans son dernier (l’auteur est décédé le 12 mars) et captivant livre Le Faux dans l’art (Hugo Image, 24,95 €), Jean-Jacques Breton avance pour Corot l’estimation ahurissante de 10 000 faux en circulation, quand la production du peintre s’élèverait à environ 2 500 tableaux.
Et encore, écrit l’auteur : 30 000 faux Corot, rien qu’en Europe, « serait sans doute plus proche de la vérité » ! Gauguin ne serait pas plus épargné, lui dont des œuvres de Charles Laval « passerai[en]t aujourd’hui frauduleusement sous [sa] signature ». Les faux Modigliani, artiste prisé des faussaires, se compteraient eux aussi par centaines, comme ce Portrait de femme que nous reproduisons en couverture et qui est signé Elmyr de Hory, l’un des « grands » faussaires du XXe siècle. Quant aux arts premiers, 90 % des pièces qui circuleraient sur le marché seraient fausses ! Bien sûr, ces chiffres sont invérifiables, mais ils vont dans le sens des saillies de certains faussaires qui, comme Wolfgang Beltracchi, se vantent d’être les artistes les plus exposés au monde. Une chose est vraie : nous nous sommes tous délectés un jour, dans un musée, de la contemplation d’un faux. Comme la Tête de princesse à perruque courte, merveilleux portrait en verre bleu qui a tenu le rang de chef-d’œuvre des Antiquités égyptiennes du Louvre durant plus de quatre-vingts ans, mais dont la datation n’a pas résisté aux analyses en laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France…
Authentique
C’est l’autre terme consacré pour désigner ce qui n’est pas faux. « Comme le faux, auquel elle est souvent opposée, l’authenticité à une histoire », nous apprend Charlotte Guichard dans une passionnante histoire De l’authenticité (Publications de la Sorbonne, 27 €). Ainsi, « le mot lui-même, appliqué à la peinture, apparaît tardivement au XIXe siècle », il succède au mot « original ». Plus d’un siècle après, c’est bien aux prémices d’une nouvelle histoire de l’authenticité que l’on assiste : celle des arts premiers d’Afrique. L’exposition « Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire », à laquelle nous consacrons un dossier à l’occasion de son passage au Musée du quai Branly, s’attache à retrouver l’identité de ces artistes qui se cachent derrière ces masques, ces statuettes, nommés selon leur ethnie, leur style : « fang », « dogon », « kota », etc. En réalité, ces artistes ne se cachent pas ; on a simplement omis de collecter leur identité aux XIXe et XXe siècles, bien trop attachés à projeter nos fantasmes occidentaux d’une Afrique « berceau d’une altérité radicale », rappelle Maureen Murphy (De l’authenticité). Cette exposition n’est pas la première à porter une telle ambition, d’autres régions d’Afrique font l’objet d’études identiques, comme le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, le Bénin. Mais elle marque un tournant dans les arts premiers, qui quittent peu à peu le domaine de l’ethnologie de Lévi-Strauss pour se rapprocher d’une histoire attributionniste. Ainsi, nous assisterons demain à des batailles d’attributions, lesquelles feront ou déferont des « maîtres », grands et petits, avec les risques de pression du marché et les conséquences sur l’aura et la valeur des œuvres que l’on sait. Les faussaires ont encore de beaux jours devant eux…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Faux - Authentique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Faux - Authentique