Réunis dans un coffret, un livre et un film témoignent de la conception philosophique, politique et engagée de l’environnement de l’architecte Yona Friedman.
C’est l’histoire d’un « architecte de papier » ou, comme il se désigne lui-même, d’un « architecte sans l’être ». Yona Friedman est né à Budapest en 1923 et s’est installé à Paris en 1957, après un détour par Israël, d’où il sortira diplômé de l’Institut de technologie de Haïfa. Comme le résume Wim de Wit, conservateur adjoint chargé de l’architecture et du design au Cantor Center for Visual Arts de l’Université de Stanford (États-Unis), dans un texte intitulé « La Perspective des archives » : « Malgré sa formation d’architecte et une carrière professionnelle entièrement consacrée à l’architecture, Yona Friedman n’est pas connu pour ses constructions, qui sont en réalité fort peu nombreuses. Ce qui a fait de Friedman l’une des grandes figures anticonformistes de l’architecture d’après-guerre est son passionnant travail de réflexion sur le besoin des humains de disposer d’un abri, ainsi que sa production foisonnante de magnifiques dessins qui l’ont aidé à clarifier sa vision des villes, des mégastructures et de la liberté de chacun de choisir un lieu de vie ».
Baptisé Blvd Garibaldi : Variations sur Yona Friedman, ce coffret/DVD invite donc à découvrir ce truculent personnage au cœur même de son appartement-atelier parisien, situé précisément boulevard Garibaldi (d’où le titre de cet opus…), que l’on peut voir dans le film de 48 minutes réalisé par Caroline Cros et Antoine de Roux. De fait, l’endroit est l’une de ses œuvres plastiques majeures. Au fil des ans, s’y sont accumulés : dessins, papiers découpés, masques, maquettes, jouets, statuettes, sans oublier, au bas mot, quelques centaines d’objets fabriqués, collectés ou recyclés. Une sorte de capharnaüm organisé, bref son « monde ». Il y évolue, aujourd’hui encore, tel un poisson dans l’eau. À la fois artiste, penseur, et humaniste, Yona Friedman évoque son propre parcours – « Mes idées ont été influencées par la Seconde Guerre mondiale : apprenons que ce qui est important ce sont les gens, apprenons que tout peut devenir absurde, d’un moment à l’autre… » –, mais également divers aspects du métier d’architecte. Réside toutefois une perpétuelle interrogation : « Je suis étonné de voir que le point de vue de l’architecte compte plus que celui de l’habitant ». Ainsi relate-t-il sa première rencontre en 1949, en France, avec un Le Corbusier en plein chantier de la Cité radieuse, à Marseille : « Les gens doivent apprendre comment habiter dans mon bâtiment ! », lui dit le Maître. Friedman en fût offusqué : « J’ai réalisé que les architectes ne savent pas ce que le client veut, mais cherchent à les persuader de ce qu’ils veulent. C’est la technique publicitaire aujourd’hui généralisée, comme pour les candidats à la présidence de la République ou les vendeurs de yaourts ».
Une vision généreuse
Au passage, Friedman en profitera aussi pour fustiger l’absurdité du système moderniste de planification urbaine. Il défend a contrario « l’imprédictibilité du développement urbain », notamment à travers son projet de Ville spatiale, structure tridimensionnelle qui vient s’édifier au-dessus d’une ville existante ou d’une zone non-constructible. Ledit projet utopiste influencera, entre autres, les Métabolistes japonais ou, en Angleterre, les Plug-In Cities du groupe Archigram. « La réalisabilité de l’utopie dépend d’un consensus, explique, lucide, Friedman, et lorsque ce consensus tombe, l’utopie disparaît ». Que ses projets restent dans les cartons, Friedman n’en a cure : « D’une certaine manière, j’ai refusé de construire et je pense qu’il est plus important de véhiculer mes idées. Je suis content de l’influence qu’a mon œuvre. Pour moi, c’est beaucoup plus satisfaisant que si j’avais fait tel ou tel bâtiment. »
Le film s’intitule Conversations, mais, et c’est un petit bémol, il s’agit en réalité davantage d’un monologue qui aurait sans doute, par moments, nécessité quelques relances. Le livre, lui, comporte, entre autres, une dizaine de photographies de cet appartement du boulevard Garibaldi, ainsi qu’un texte signé par un aficionado de Friedman, l’architecte Jean-Philippe Vassal (de l’agence Lacaton-Vassal), lequel y relate « une expérience déterminante » : son séjour de cinq années en Afrique, juste après avoir décroché son diplôme. Vassal a retrouvé là-bas quelques questions récurrentes dans le travail de Friedman : « l’improvisation, l’intuition, l’immédiateté et… la liberté ».
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Yona Friedman, un utopiste de l’architecture
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Abonnez-vous dès 1 €une coédition du Centre national des arts plastiques et des Éditions Après, avec le soutien de l’École nationale supérieure d’art de Bourges. Un coffret avec le livre, édition française & anglaise, 120 pages ; le film « Animal Normal : Conversations avec Yona Friedman 2007-2014 , décembre 2014, 20 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°430 du 27 février 2015, avec le titre suivant : Un utopiste de l’architecture