Dans un ouvrage passionnant, Martial Guédron examine la représentation du visage dans toutes ses dimensions en Occident et depuis l’Antiquité.
Ce n’est pas le premier livre sur le visage et, sans doute pas le dernier, mais c’est sûrement l’un des meilleurs. Car, le visage n’est pas – pas plus dans l’univers artistique qu’ailleurs – un objet parmi d’autres. Étroitement surveillé et protégé, il est le dernier maillon de la chaîne qui nous relie à la tradition humaniste. On ne peut porter atteinte à ce « substitut de l’être », le déformer, sans remettre en question la notion de « personne ».
Le visage mobilise des affects particuliers et toute atteinte à son intégrité est perçue comme une menace pour le sujet lui-même. Ainsi toute transformation du visage produit-elle un effet immédiat ne laissant jamais indifférent. Inévitablement, il provoque en nous une sensation qu’aucune autre œuvre ne produit : celle d’un dialogue avec notre semblable, aussi succinct soit-il.
Dans sa belle introduction à Visages(s). Sens et représentations en Occident, Martial Guédron écrit que : « Le visage est au cœur d’intrigues relationnelles. » Des intrigues mais aussi des énigmes qu’il propose d’aborder à l’aide d’un ouvrage rédigé à la manière d’une encyclopédie et articulé en trois parties. La première, « Cartographie du visage », détaille les différentes parties du visage (front, nez, bouche, yeux…) pour en enseigner la « fonction » en faisant appel à l’anthropologie, à l’esthétique, à l’histoire, et souvent à des textes anciens remontant à l’Antiquité. Selon l’historien de l’art, s’il est admis que la notion de portrait comme représentation d’un individu dans sa singularité date de la Renaissance, il ne faut pas négliger la tradition gréco-romaine, qui se poursuit d’ailleurs à l’époque médiévale. Ainsi, avec soin et érudition, l’auteur analyse « certaines continuités mais aussi des transitions et des ruptures ». Sans doute, mais ces sources ont leurs limites, car le plus souvent il s’agit de textes et non pas d’œuvres, lesquelles, pour leur grande majorité, ont disparu.
Les expressions du visage, des constructions
Quoi qu’il en soit, le visage n’est jamais uniquement la somme de ses parties, ni une simple enveloppe. Il est non seulement labile et son apparence est sans cesse mobile, mais en plus il est toujours en représentation. Ainsi, toute tentative qui cherche à l’étudier comme une « pure surface à déchiffrer » (David Le Breton, Des Visages, éd. Métaillié, 1992), en faisant appel aux disciplines pseudo-scientifiques (physiognomonie ou phrénologie, études des proportions de crâne) est vouée à l’échec. Pour cette raison, Martial Guédron insiste à juste titre sur le fait qu’il ne s’agit pas ici du visage, cet objet qui échappe à la définition, mais des nombreuses postures qu’il se donne. Jamais « naturelles », les différentes expressions, effroi, douleur, mépris, qui sont traitées dans la section, « Le visage en action », sont toujours des constructions.
De même, personne ne croit plus au fameux proverbe : « Le visage est le miroir de l’âme. » Ainsi, sont analysées les différentes manières de se déguiser, sinon de porter un masque. L’auteur, à qui l’on doit L’Art de la grimace (éd. Hazan, 2011), sait de quoi il parle. Le voile, les cosmétiques, la dissimulation ou les modifications y sont abordés comme autant de stratégies employées par les artistes pour montrer autant que pour cacher leur modèle. En réalité, le visage, même introduit dans le domaine artistique, n’adopte pas nécessairement les oripeaux du portrait. Pour accomplir cette métamorphose, le visage change sa nature et s’inscrit dans le domaine social à l’aide d’une mise en scène étudiée qui est également une mise à distance. Autrement dit, l’invention du genre du portrait par l’histoire de l’art est une manière d’apprivoiser le visage, de lui donner une forme reconnue et respectée. De fait, le portrait est toujours double : il conjugue l’apparence physique de la personne et son statut dans la société. Le livre se conclut sur « Le Visage sublime » et sa version la plus répandue : la Sainte Face, qui aurait été « peinte » sur une pièce d’étoffe par simple contact avec la face du Christ. Cette icône miraculeuse, qui hérite du caractère archétypal du visage, devient à son tour un modèle dans la représentation religieuse de ce dernier. Mais le mythe de la Sainte Face n’est qu’un des nombreux récits légendaires sur l’origine du portrait et son lien avec l’enfance de l’art (Narcisse, Pygmalion). Encore aujourd’hui, le visage continue de nous intriguer par son aspect énigmatique. Peut-être, comme l’indique le titre du livre, le visage se décline-t-il toujours au pluriel.
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Visages et portraits
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Abonnez-vous dès 1 €Martial Guédron, Visage(s). Sens et reprÉsentations en occident, éd. Hazan, 384 p, 59 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Visages et portraits