Versailles raconte sa guerre

Cette supplique est en effet tirée de la correspondance de Pierre Ladoué, conservateur en chef au château resté en poste en juin 40. Le scientifique avait reçu ordre du commandement militaire de tenir « même en cas d’avance allemande avec mission de faire sauvegarder le trésor national qui lui est confié ». Accompagné du « personnel minimum indispensable pour le seconder », il assista impuissant à l’installation du drapeau nazi sur l’emblématique palais mais parvint tout de même à empêcher l’armée allemande de prendre ses quartiers dans le monument. Si le pire est évité, le cauchemar durera toutefois quatre longues années. 1533 jours durant le fleuron national est en effet occupé : les soldats défilent dans la mythique galerie des Glaces, transforment les allées de Le Nôtre en potager, quand ils ne s’adonnent pas à quelques pillages et actes de vandalisme. C’est cette histoire confidentielle et pourtant passionnante que raconte cette Web série très réussie réalisée par l’établissement public. Le documentaire donne vie au travail remarquable mené par l’historienne de l’art Claire Bonnotte Khelil qui avait consacré un livre à cet épisode tumultueux [Le Soleil éclipsé, Vendémiaire, 2018]. La série retrace la vie du monument et de ses équipes dévouées de 1939 à 1946, soit depuis l’évacuation des chefs-d’œuvre et l’élaboration de la défense passive jusqu’à la réouverture du site au lendemain de la guerre. D’un format concis, la série, disponible gratuitement, se compose de quatre chapitres rythmés d’une dizaine de minutes. Très vivantes, ces séquences donnent à voir et à entendre des archives en majorité inédites. Photographies, articles de presse, correspondance, mais aussi des animations font ainsi revivre ces années de plomb. Impeccable dans le rôle du conteur, Denis Podalydès apporte un souffle épique sans tomber dans le piège de l’emphase facile.