« Car partout, dans la guerre, pour la guerre, ou contre la guerre, on continue à peindre, à graver, à écrire des pièces de théâtre, à se produire au cabaret. »
Cette citation pourrait servir d’exergue au dernier livre d’Annette Becker. Voir la Grande Guerre, Un autre récit [éditions Armand Colin, 256 p., 26 €], le livre en question, est un manifeste de l’historienne pour appeler ses confrères à prendre en compte les nombreuses ressources visuelles (photographies, films, dessins de caricature, objets-souvenirs créés dans les tranchées, techniques de camouflage, etc.) longtemps ignorées au profit des seuls documents écrits. Pourtant, défend l’auteure de 14-18, retrouver la Guerre, avec le retour des soldats dans leurs foyers, ce sont des millions d’images qui intègrent les archives familiales comme autant de témoignages individuels et collectifs sur ce que fut la guerre, et comment elle fut vécue par ses protagonistes. Réalisés en studio, les portraits des poilus fraîchement enrôlés sont souvent les premières expériences photographiques pour ces millions d’hommes, et malheureusement aussi les dernières. Ils contrastent avec ces images prises sur le terrain à l’aide de ces appareils légers dont Kodak s’est fait, pour les armées alliées, le spécialiste. Que montrent-elles ?
Des ruines, des champs de croix, plus rarement des cadavres, par pudeur ou pour ne pas inquiéter les familles – « ces clichés ayant [aussi] été censurés par les historiens eux-mêmes », prévient Annette Becker. Il faut donc regarder ce qui est montré autant que ce qui ne l’est pas, lire les légendes aussi, dans les albums des poilus ou sous les caricatures des dessinateurs qui peignent les Allemands sous la forme de cochons ou de grands singes. Car les « boches » sont des bêtes biologiquement déterminées pour couper au couteau les mains des enfants, et commettre de telles atrocités que l’on en « oubliera » celles commises, au même moment, par les Turcs contre les Arméniens… Pendant ce temps, au front, les artistes, ces « cubistes », s’ingénient à camoufler les tanks, les bateaux, les arbres et les hommes avec plus d’inventivité que ces grossiers « faussaires » de l’armée allemande – ce qui aura pour conséquence d’associer durablement les avant-gardes en France au conflit. Alors, dit en substance Annette Becker, cessons de lire la guerre pour la regarder, à hauteur d’œil : « Il suffit, chez tous les anciens belligérants, de fouiller les archives, les collections : on voit. »
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Un plaidoyer pour voir la guerre autrement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : Un plaidoyer pour voir la guerre autrement